mardi 2 avril 2013

Petites misères d'automne (Jules Laforgue)

Pour célébrer le printemps qui tarde et s'éloigner des vicissitudes de la politique, un poème de circonstance du sympathique Jules Laforgue


Je me souviens, - dis, rêvé ce bal blanc ? 
Une, en robe rose et les joues en feu, 
M'a tout ce soir-là dévoré des yeux, 
Des yeux impérieux et puis dolents,
(Je vous demande un peu !)

Car vrai, fort peu sur moi d'un en vedette, 
Ah ! pas plus ce soir-là d'ailleurs que d'autres, 
Peut-être un peu mon natif air d'apôtre, 
Empêcheur de danser en rond sur cette
Scandaleuse planète.

Et, tout un soir, ces grands yeux envahis 
De moi ! Moi, dos voûté sous l'À quoi Bon ? 
Puis, partis, comme à jamais vagabonds !
(Peut-être en ont-ils peu après failli ?...) 
Moi quitté le pays.

Chez nous, aux primes salves d'un sublime, 
Faut battre en retraite. C'est sans issue. 
Toi, pauvre, et t'escomptant déjà déçue 
Par ce coeur (qui même eût plaint ton estime) 
J'ai été en victime,

En victime après un joujou des nuits ! 
Ses boudoirs pluvieux mirent en sang 
Mon inutile coeur d'adolescent... 
Et j'en dormis. A l'aube je m'enfuis... 
Bien égal aujourd'hui.