Evangéline (Henry Wadsworth Longfellow) [vingt-cinquième et dernière partie]
Evangéline est un très long et très épique poème de Henry Wadsworth Longfellow (plus de 3000 lignes et 20 000 mots) qui raconte la déportation des Acadiens. Ce texte est un petit chef d'oeuvre de poncifs et d'images édifiantes en faveur de la religion catholique, des français d'Amérique et des USA et au détriment des anglais.
Ce poème a eu un grand effet sur les cultures acadiennes et canadiennes (d'après Wikipedia).
La traduction en français est due à Pamphile Le May.
Poésie en vrac publie ici la vingt cinquième et dernière partie de l'intégralité de ce poème incroyable, sommet de kitsch où la vierge et fidèle Evangéline retrouve Gabriel mourant dans un hôpital de Philadelphie.
Elle entre doucement. Sur le fiévreux chevet
Elle porte un regard qu'un espoir doux anime.
À l'ange de la mort disputant sa victime,
Des soeurs pleines de zèle et fuyant le vain bruit,
Prodiguent mille soins et veillent jour et nuit.
Sur le front tout brûlant, sur la lèvre qui sèche
Elles viennent répandre une goutte d'eau fraîche.
Et quand tout est fini pour ces pauvres humains ,
Sur leur poitrine froide elles croisent leurs mains,
Elles ferment leurs yeux, et le linceul les couvre.
Au moment ou la porte en gémissant s'entr'ouvre,
Les pâles moribonds semblent se réveiller,
Se tournent lentement sur leur triste oreiller
Et fixent sur la vierge un oeil plein de souffrance.
Sa présence était douce et rendait l'espérance,
Elle était le soleil qui monte à l'horizon,
Et vient illuminer les murs d'une prison.
Promenant ses regards sur les lits, autour d'elle,
Elle vit que la mort, en servante fidèle,
Avait enfin guéri d'inguérissables maux.
Plusieurs qui de sa bouche, hier, buvaient les mots,
Hélas ! ne vivaient plus. Ici, comme eux livides,
D'autres les remplaçaient là des lits étaient vides.
A l'aspect de la mort qui surgit de partout,
Soudain elle s'arrête. Est-ce horreur ou dégoût ?
Elle est là morne, pâle, et sa langue liée
Veut dire, semble-t-il, une chose oubliée.
Un frisson la secoue, et l'odorant bouquet,
S'échappant de sa main, tombe sur le parquet.
Dans ses yeux cependant, et sur sa maigre joue,
L'étonnement se peint, une lueur se joue.
Est-ce le feu qui meurt ? Or, voilà qu’aussitôt,
Suffoquant dans l’angoisse, elle jette un sanglot.
Les moribonds, surpris de cette affre suprême,
Sur leurs chauds oreillers levèrent leur front blême.
Un malade était là, devant elle, un vieillard . . .
Ses yeux ne voyaient plus qu'à travers un brouillard,
Des cheveux gris tombaient sur sa tempe fiévreuse,
Il s'en allait mourant. Et sa joue était creuse,
Et sa large poitrine en râlant se gonflait.
C'était la fin. Soudain le soleil, d'un reflet,
Efface le sillon qu'avaient tracé les rides,
Et rend l'air de jeunesse à ses vieux traits arides.
Il était là, cet homme, immobile et sans voix,
Le regard attaché sur la petite croix
Qu'on venait de suspendre au mur, près de sa couche.
La fièvre, d'un trait rouge, avait marqué sa bouche.
On eut dit que la vie, à l’instar des Hébreux,
Avait mis sur sa porte un sang tout généreux,
Pour que l'ange de mort retînt encor son glaive.
Peut-être ses pensées se perdaient dans un rêve.
Il demeurait toujours immobile et muet,
Ou seule, pour prier, sa lèvre remuait.
On voyait sur ses yeux des nuages funèbres;
Ses esprits se noyaient en de lourdes ténèbres,
Ténèbres d’agonie et ténèbres de mort.
Au cri d'Évangéline il se réveille, il sort
De l'ombre qui l'étreint et ressaisit la vie.
Dans le calme, aussitôt, son oreille ravie
Entendit une voix, comme un écho du ciel,
Qui lui dit tendrement : «Gabriel ! Gabriel !
«Bénis, mon bien-aimé, le ciel qui nous rassemble !»
Et voilà qu'il revit dans un songe. Il lui semble,
Qu'heureux et jeune encore, il est, comme autrefois,
Dans sa belle Acadie avec les villageois,
Qu'il erre dans les prés; qu'il entre en son village,
Sous le toit de son père abrité de feuillage,
Qu'il voit Évangéline, allant à son côté,
Dans toute sa jeunesse et toute sa beauté,
Sur la prairie en fleurs et le long des rivières !
Des pleurs d'enivrement coulent de ses paupières;
Il ouvre grands ses yeux et cherche autour de lui.
La douce vision, hélas ! a déjà fui !
Mais auprès de sa couche, humble et mélancolique,
Il voit, agenouillée, une forme angélique,
Et c'est Évangéline !
Il veut dire son nom,
Mais sa bouche ne peut murmurer qu'un vain son.
Dans un dernier effort, en une sainte ivresse,
Il attache sur elle un regard de tendresse,
Il veut lever la tête et lui tendre la main,
Aussitôt il retombe, et tout effort est vain !
Seulement, un sourire éclaire sa figure,
Quand de sa fiancée il sent la lèvre pure
Sur sa lèvre de feu longuement se poser.
Son regard se réveille à ce dernier baiser,
A cet éclair d'amour qui sait enfin l’atteindre.
C'est la lampe qui brille au moment de s'éteindre.
Il se ferme déjà cet oeil encor si beau:
Un souffle malfaisant éteignait le flambeau,
Et tout était fini, l'amour et ses délices,
La crainte et les espoirs, la joie et les supplices.
Près de ce mort béni qu'elle avait aimé tant,
La pauvre Evangéline est à genoux. Pourtant,
Une dernière fois, en l’angoisse abîmée,
Elle prend dans ses mains la tête inanimée,
La presse doucement contre son coeur transi,
Et dit, penchant son front : «Ô mon Père, merc i!»
C'est l'antique forêt . . . Noyés dans la pénombre,
Vieux et moussus, drapés dans leur feuillage sombre,
Les pins au long murmure et les cyprès altiers
Se balancent encor sur les fauves sentiers,
Mais loin, bien loin de leurs discrets ombrages
Les fiancés constants, sur d'étrangères plages
Dorment l'un près de l'autre, à jamais réunis . . .
La paix est éternelle où les maux sont finis.
Ils sont là, sous les murs du temple catholique,
Au sein de la cité, mais la croix symbolique
Qui disait au passant le lieu de leur repos,
La croix ne se voit plus. Comme d'immenses flots
Roulent avec fracas vers une calme rive,
Chaque jour, cependant, pressée, ardente, arrive
Auprès de leurs tombeaux la foule des humains.
Combien de coeurs brisés, venus par tous chemins,
Soupirent dans le doute ou dans la lassitude,
En ces lieux où leurs coeurs trouvent la quiétude !
Combien de fronts pensifs s'inclinent tristement
En ces lieux où leurs fronts n'ont plus aucun tourment !
Combien de bras nerveux travaillent sans relâche
En ces lieux où leurs bras ont achevé leur tâche !
Combien de pieds actifs se succèdent sans fin,
En ces lieux où leurs pieds se reposent enfin !
C'est l’antique forêt . . . Noyés dans la pénombre,
Vieux et moussus, drapés dans leur feuillage sombre,
Les pins au long murmure et les cyprès altiers
Se balancent encor sur les fauves sentiers;
Mais sous leur frais ombrage et sous leur vaste dôme,
On entend murmurer un étrange idiome,
On voit jouer, hélas! les fils d'un étranger !
Seulement, près des rocs que le flot vient ronger,
Le long des bords déserts du brumeux Atlantique,
On voit de place en place, un paysan rustique.
C'est un Acadien dont le pieux aïeul
Ne voulut pas avoir autrefois pour linceul,
La terre de l'exil. Il vint, bravant le maître,
Mourir aux lieux aimés où Dieu l'avait fait naître.
Cet homme, il est pêcheur; il vit de son filet.
Sa fille porte encor élégant mantelet,
Jupon de droguet bleu, bonnet de Normandie.
Elle a de beaux yeux noirs, une épaule arrondie.
Sa femme est au ménage et tourne le fuseau.
Ses garçons comme lui se complaisent sur l'eau.
C'est l'antique forêt . . . Quand l'étoile s'allume,
Dans les veillées d'hiver, près de l'âtre où l'on fume,
Les paysans dévots parlent, les yeux en pleurs,
De leur Évangéline et de ses longs malheurs. . .
On entend au dehors des clameurs. C'est, tout proche,
L'océan qui gémit dans ses antres de roche,
Et la forêt répond par de profonds sanglots,
Au long gémissement qui monte de ses flots.
Pour en savoir plus sur l'Acadie et Evangéline (avec notamment quelques cartes géographiques anciennes de l'Acadie) :