dimanche 2 mai 2021

Ballade des contre-vérités (François Villon)

Il n'est soin que quand on a faim

Ne service que d'ennemi,

Ne mâcher qu'un botel de fain,

Ne fort guet que d'homme endormi,

Ne clémence que félonie,

N'assurance que de peureux,

Ne foi que d'homme qui renie,

Ne bien conseillé qu'amoureux.


Il n'est engendrement qu'en boin

Ne bon bruit que d'homme banni,

Ne ris qu'après un coup de poing,

Ne lotz que dettes mettre en ni,

Ne vraie amour qu'en flatterie,

N'encontre que de malheureux,

Ne vrai rapport que menterie,

Ne bien conseillé qu'amoureux.


Ne tel repos que vivre en soin,

N'honneur porter que dire : " Fi ! ",

Ne soi vanter que de faux coin,

Ne santé que d'homme bouffi,

Ne haut vouloir que couardie,

Ne conseil que de furieux,

Ne douceur qu'en femme étourdie,

Ne bien conseillé qu'amoureux.


Voulez-vous que verté vous dire ?

Il n'est jouer qu'en maladie,

Lettre vraie qu'en tragédie,

Lâche homme que chevalereux,

Orrible son que mélodie,

Ne bien conseillé qu'amoureux. 

lundi 23 septembre 2019

Juin - François Coppée

Avoir le projet de publier en septembre un poème sur le mois de juin... Pourquoi pas en novembre... Comprend qui peut...

Dans cette vie ou nous ne sommes
Que pour un temps si tôt fini,
L'instinct des oiseaux et des hommes
Sera toujours de faire un nid ;

Et d'un peu de paille ou d'argile
Tous veulent se construire, un jour,
Un humble toit, chaud et fragile,
Pour la famille et pour l'amour.

Par les yeux d'une fille d'Ève
Mon coeur profondément touché
Avait fait aussi ce doux rêve
D'un bonheur étroit et caché.

Rempli de joie et de courage,
A fonder mon nid je songeais ;
Mais un furieux vent d'orage
Vient d'emporter tous mes projets ;

Et sur mon chemin solitaire
Je vois, triste et le front courbé,
Tous mes espoirs brisés à terre
Comme les oeufs d'un nid tombé.

lundi 8 juillet 2019

A la louange de la forêt (Eustorg de Beaulieu)

Du vieux français du XVIème siècle... qui n'était pourtant pas une langue de bois...

En la Forest a mainte chose.
En la Forest on se repose.
En la Forest faict beau chasser,
Beau Chanter, beau le temps passer,
Beau composer en Ryme et prose.

Toutz motz joyeux on y propose.
On y Rid, on Raille, on Marmose,
Et s'il pleut on vient s'adresser
En la Forest.

Maint connyn y est en sa crose,
Et maint Ruysseau qui l'herbe arrose,
Sur laquelle on se vient coucher
Au temps nouveau sans se fascher,
Où mainte pensée est desclose 
En la Forest.

mardi 18 juin 2019

Sacrés coteaux et vous saintes ruines (Joachim du Bellay)

Allez hop ! Un petit Du Bellay pour la route ! (route qu'il a bien fallu construire !)

Sacrés coteaux et vous saintes ruines,
Qui le seul nom de Rome retenez,
Vieux monuments, qui encore soutenez
L'honneur poudreux de tant d'âmes divines :

Arcs triomphaux, pointes du ciel voisines,
Qui de vous voir le ciel même étonnez,
Las, peu à peu cendre vous devenez,
Fable du peuple et publiques rapines !

Et bien qu'au temps pour un temps fassent guerre
Les bâtiments, si est-ce que le temps
Oeuvres et noms finalement atterre.

Tristes désirs, vivez donc contents :
Car si le temps finit chose si dure,
Il finira la peine que j'endure.

L'éditeur tient à faire remarquer que l'auteur de ce poème ne s'est pas foulé car il a employé le mot "ciel" 2 fois dans 2 vers successifs. Tout se perd !

lundi 11 février 2019

Les Amours de Psyché - Éloge de la Volupté (Jean de la Fontaine)

Le regretté Jean de la Fontaine n'a pas écrit que des fables. Pour lui, apparemment, l'écriture était un jeu...

Ô douce Volupté, sans qui, dès notre enfance,
Le vivre et le mourir nous deviendraient égaux ;
Aimant universel de tous les animaux,
Que tu sais attirer avecque violence !
Par toi tout se meut ici-bas.
C'est pour toi, c'est pour tes appâts,
Que nous courons après la peine :
Il n'est soldat, ni capitaine,
Ni ministre d'État, ni prince, ni sujet,
Qui ne t'ait pour unique objet.
Nous autres nourrissons, si pour fruit de nos veilles
Un bruit délicieux ne charmait nos oreilles,
Si nous ne nous sentions chatouillés de ce son,
Ferions-nous un mot de chanson ?
Ce qu'on appelle gloire en termes magnifiques,
Ce qui servait de prix dans les jeux olympiques,
N'est que toi proprement, divine Volupté.
Et le plaisir des sens n'est-il de rien compté ?
Pour quoi sont faits les dons de Flore,
Le Soleil couchant et l'Aurore,
Pomone et ses mets délicats,
Bacchus, l'âme des bons repas,
Les forêts, les eaux, les prairies,
Mères des douces rêveries ?
Pour quoi tant de beaux arts, qui tous sont tes enfants ?
Mais pour quoi les Chloris aux appâts triomphants,
Que pour maintenir ton commerce ?
J'entends innocemment : sur son propre désir
Quelque rigueur que l'on exerce,
Encore y prend-on du plaisir.
Volupté, Volupté, qui fus jadis maîtresse
Du plus bel esprit de la Grèce,
Ne me dédaigne pas, viens-t'en loger chez moi ;
Tu n'y seras pas sans emploi.
J'aime le jeu, l'amour, les livres, la musique,
La ville et la campagne, enfin tout ; il n'est rien
Qui ne me soit souverain bien,
Jusqu'au sombre plaisir d'un coeur mélancolique.
Viens donc ; et de ce bien, ô douce Volupté,
Veux-tu savoir au vrai la mesure certaine ?
Il m'en faut tout au moins un siècle bien compté ;
Car trente ans, ce n'est pas la peine.

jeudi 24 janvier 2019

Pétition d'un voleur à un roi voisin (Pierre François Lacenaire)

Ces vers qu'on croirait presque écrits en 2019 par un gilet jaune sont issus de la plume d'un "poète-assassin" du 19ème siècle, Lacenaire célèbre escroc et criminel français qui finit guillotiné en 1836 sous le règne de Louis-Philippe, monarque surnommé "la Poire".

Sire, de grâce, écoutez-moi : 
Sire, je reviens des galères... 
Je suis voleur, vous êtes roi, 
Agissons ensemble en bons frères. 
Les gens de bien me font horreur, 
J'ai le coeur dur et l'âme vile,
Je suis sans pitié, sans honneur : 
Ah ! faites-moi sergent de ville. 

Bon ! je me vois déjà sergent :
Mais, sire, c'est bien peu, je pense.
L'appétit me vient en mangeant : 
Allons, sire, un peu d'indulgence.
Je suis hargneux comme un roquet, 
D'un vieux singe j'ai la malice ; 
En France, je vaudrais Gisquet :
Faites-moi préfet de police.

Grands dieux ! que je suis bon préfet !
Toute prison est trop petite. 
Ce métier pourtant n'est pas fait,
Je le sens bien, pour mon mérite. 
Je sais dévorer un budget
Je sais embrouiller un registre ; 
Je signerai : " Votre sujet ", 
Ah ! sire, faites-moi ministre.

Sire, que Votre Majesté 
Ne se mette pas en colère ! 
Je compte sur votre bonté ; 
Car ma demande est téméraire.
Je suis hypocrite et vilain, 
Ma douceur n'est qu'une grimace ;
J'ai fait... se pendre mon cousin : 
Sire, cédez-moi votre place.

samedi 10 novembre 2018

Fille du vieux pasteur, qui d'une main agile (André Chénier)

Vous ne couperez pas à ce poème agricole d'André Chénier, pas plus que vous ne couperez la main agile de la fille du vieux pasteur !

Fille du vieux pasteur, qui d'une main agile
Le soir emplis de lait trente vases d'argile,
Crains la génisse pourpre, au farouche regard,
Qui marche toujours seule, et qui paît à l'écart.
Libre, elle lutte et fuit intraitable et rebelle.
Tu ne presseras point sa féconde mamelle,
A moins qu'avec adresse un de ses pieds lié
Sous un cuir souple et lent ne demeure plié.

dimanche 21 octobre 2018

Je vis l'oiseau qui le soleil contemple (Joachim du Bellay)

Un petit du Bellay pour la route...

Je vis l'oiseau qui le soleil contemple
D'un faible vol au ciel s'aventurer,
Et peu à peu ses ailes assurer,
Suivant encor le maternel exemple.

Je le vis croître, et d'un voler plus ample
Des plus hauts monts la hauteur mesurer,
Percer la nue, et ses ailes tirer
Jusqu'au lieu où des dieux est le temple.

Là se perdit : puis soudain je l'ai vu
Rouant par l'air en tourbillon de feu,
Tout enflammé sur la plaine descendre.

Je vis son corps en poudre tout réduit,
Et vis l'oiseau, qui la lumière fuit,
Comme un vermet renaître de sa cendre.

lundi 3 septembre 2018

Ode à Alcippe (François Maynard)

Ce François Maynard devait avoir un sacré béguin pour cet Alcippe...

Alcippe, reviens dans nos bois.
Tu n'as que trop suivi les rois,
Et l'infidèle espoir dont tu fais ton idole.
Quelque bonheur qui seconde tes voeux,
Ils n'arrêteront pas le temps qui toujours vole
Et qui d'un triste blanc va peindre tes cheveux.

La Cour méprise ton encens.
Ton rival monte, et tu descends,
Et dans le cabinet le favori te joue.
Que t'a servi de fléchir le genou
Devant un Dieu fragile et fait d'un peu de boue,
Qui souffre et qui vieillit pour mourir comme nous ?

Romps tes fers, bien qu'ils soient dorés.
Fuis les injustes adorés,
Et descends dans toi-même à l'exemple du sage.
Tu vois de près ta dernière saison
Tout le monde connaît ton nom et ton visage
Et tu n'es pas connu de ta propre raison.

Ne forme que des saints désirs,
Et te sépare des plaisirs
Dont la molle douceur te fait aimer la vie.
Il faut quitter le séjour des mortels,
Il faut quitter Philis, Amarante et Sylvie,
 qui ta folle amour élève des autels.

Il faut quitter l'ameublement
Qui nous cache pompeusement,
Sous de la toile d'or, le plâtre de ta chambre.
Il faut quitter ces jardins toujours verts,
Que l'haleine des fleurs parfume de son ambre,
Et qui font des printemps au milieu des hivers.

C'est en vain que loin des hasards
Où courent les enfants de Mars,
Nous laissons reposer nos mains et nos courages ;
Et c'est en vain que la fureur des eaux
Et l'insolent Borée, artisan des naufrages,
Font à l'abri du port retirer nos vaisseaux.

Nous avons beau nous ménager
Et beau prévenir le danger,
La mort n'est pas un mal que le prudent évite ;
Il n'est raison, adresse, ni conseil
Qui nous puisse exempter d'aller où le Cocyte [leucocyte ?]
Arrose des pays inconnus au soleil.

Le cours de nos ans est borné,
Et quand notre heure aura sonné,
Clotho ne voudra plus grossir notre fusée.
C'est une loi, non pas un châtiment,
Que la nécessité qui nous est imposée
De servir de pâture aux vers du monument.

Résouds-toi d'aller chez les morts ;
Ni la race ni les trésors
Ne sauraient t'empêcher d'en augmenter le nombre,
Le potentat le plus grand de nos jours
Ne sera rien qu'un nom, ne sera rien qu'une ombre,
Avant qu'un demi-siècle ait achevé son cours.

On n'est guère loin du matin
Qui doit terminer le destin
Des superbes tyrans du Danube et du Tage.
Ils font les Dieux dans le monde chrétien :
Mais ils n'auront sur toi que le triste avantage
D'infecter un tombeau plus riche que le tien.

Et comment pourrions-nous durer ?
Le Temps, qui doit tout dévorer,
Sur le fer et la pierre exerce son empire ;
Il abattra ces fermes bâtiments
Qui n'offrent à nos yeux que marbre et que porphyre,
Et qui jusqu'aux Enfers portent leurs fondements.

On cherche en vain les belles tours
Où Pâris cacha ses amours,
Et d'où ce fainéant vit tant de funérailles.
Rome n'a rien de son antique orgueil,
Et le vide enfermé de ses vieilles murailles
N'est qu'un affreux objet et qu'un vaste cercueil.

Mais tu dois avecque mépris
Regarder ces petits débris :
Le Temps amènera la fin de toutes choses ;
Et ce beau ciel, ce lambris azuré,
Ce théâtre où l'Aurore épanche tant de roses,
Sera brûlé des feux dont il est éclairé.

Le grand astre qui l'embellit
Fera sa tombe de son lit
L'air ne formera plus ni grêles, ni tonnerres :
Et l'univers, qui dans son large tour
Voit courir tant de mers et fleurir tant de terres,
Sans savoir où tomber, tombera quelque jour.

lundi 20 août 2018

Poésie verticale (Roberto Juarroz)

Ce poète vertical et argentin aurait peut-être été plus inspiré de rester couché...
Personnellement, je préfère Georges Brassens et sa belle horizontale déçue.


Commencer alors sa conversion
jusqu'à le mettre fermement debout
comme un arbre ou un amour en éveil
et changer l'horizon en verticale
en une fine tour
qui nous sauve au moins le regard,
vers le haut, ou vers le bas.

vendredi 3 août 2018

L'arc de Civa (Charles Marie Lecomte de Lisle)

Un poème long, trop long, bien trop long...

Le vieux Daçaratha, sur son siège d'érable,
Depuis trois jours entiers, depuis trois longues nuits,
Immobile, l'oeil cave et lourd d'amers ennuis,
Courbe sa tête vénérable.

Son dos maigre est couvert de ses grands cheveux blancs,
Et sa robe est souillée. Il l'arrache et la froisse.
Puis il gémit tout bas, pressant avec angoisse
Son coeur de ses deux bras tremblants.

A l'ombre des piliers aux lignes colossales,
Où le lotus sacré s'épanouit en fleurs,
Ses femmes, ses guerriers respectent ses douleurs,
Muets, assis autour des salles.

Le vieux Roi dit : Je meurs de chagrin consumé.
Qu'on appelle Rama, mon fils plein de courage !
Tous se taisent. Les pleurs inondent son visage.
Il dit : O mon fils bien aimé !

Lève-toi, Lakçmana ! Attelle deux cavales
Au char de guerre, et prends ton arc et ton carquois.
Va ! Parcours les cités, les montagnes, les bois,
Au bruit éclatant des cymbales.

Dis à Rama qu'il vienne. Il est mon fils aîné,
Le plus beau, le plus brave, et l'appui de ma race.
Et mieux vaudrait pour toi, si tu manques sa trace,
Malheureux ! n'être jamais né.

Le jeune homme aux yeux noirs, se levant plein de crainte,
Franchit en bondissant les larges escaliers ;
Il monte sur son char avec deux cymbaliers,
Et fuit hors de la Cité sainte.

Tandis que l'attelage aux jarrets vigoureux
Hennit et court, il songe en son âme profonde :
Que ferai-je ? Où trouver, sur la face du monde,
Rama, mon frère généreux ?

Certes, la terre est grande, et voici bien des heures
Que l'exil l'a chassé du palais paternel,
Et que sa douce voix, par un arrêt cruel,
N'a retenti dans nos demeures.

Tel Lakçmana médite. Et pourtant, jour et nuit,
Il traverse cités, vallons, montagne et plaine.
Chaque cavale souffle une brûlante haleine,
Et leur poil noir écume et luit.

Avez-vous vu Rama, laboureurs aux mains rudes ?
Et vous, filles du fleuve aux îlots de limons ?
Et vous, fiers cavaliers qui descendez des monts,
Chasseurs des hautes solitudes ?

Non ! nous étions courbés sur le sol nourricier.
Non ! nous lavions nos corps dans l'eau qui rend plus belles.
Non, Radjah ! nous percions les daims et les gazelles
Et le léopard carnassier.

Et Lakçmana soupire en poursuivant sa route.
Il a franchi les champs où germe et croît le riz ;
Il s'enfonce au hasard dans les sentiers fleuris
Des bois à l'immobile voûte.

Avez-vous vu Rama, Contemplateurs pieux,
L'archer certain du but, brave entre les plus braves ?
Non ! le rêve éternel a fermé nos yeux caves,
Et nous n'avons vu que les Dieux !

A travers les nopals aux tiges acérées,
Et les buissons de ronce, et les rochers épars,
Et le taillis épais inaccessible aux chars,
Il va par les forêts sacrées.

Mais voici qu'un cri rauque, horrible, furieux,
Trouble la solitude où planait le silence.
Le jeune homme frémit dans son coeur, et s'élance,
Tendant l'oreille, ouvrant les yeux.

Un Rakças de Lanka, noir comme un ours sauvage,
Les cheveux hérissés, bondit dans le hallier.
Il porte une massue et la fait tournoyer,
Et sa bouche écume de rage.

En face, roidissant son bras blanc et nerveux,
Le grand Rama sourit et tend son arc qui ploie,
Et sur son large dos, comme un nuage, ondoie
L'épaisseur de ses longs cheveux.

Un pied sur un tronc d'arbre échoué dans les herbes,
L'autre en arrière, il courbe avec un mâle effort
L'arme vibrante, où luit, messagère de mort,
La flèche aux trois pointes acerbes.

Soudain, du nerf tendu part en retentissant
Le trait aigu. L'éclair a moins de promptitude.
Et le Rakças rejette, en mordant le sol rude,
Sa vie immonde avec son sang.
Rama Daçarathide, honoré des Brahmanes,
Toi dont le sang est pur et dont le corps est blanc,
Dit Lakçmana, salut, dompteur étincelant
De toutes les races profanes !

Salut, mon frère aîné, toi qui n'as point d'égal !
O purificateur des forêts ascétiques,
Daçaratha, courbé sous les ans fatidiques,
Gémit sur son siège royal.

Les larmes dans les yeux, il ne dort ni ne mange ;
La pâleur de la mort couvre son noble front.
Il t'appelle : ses pleurs ont lavé ton affront,
Mon frère, et sa douleur te venge.

Rama lui dit : J'irai. Tous deux sortent des bois
Où gît le noir Rakças dans les herbes humides,
Et montent sur le char aux sept jantes solides,
Qui crie et cède sous leur poids.

La forêt disparaît. Ils franchissent vallées,
Fleuves, plaines et monts ; et, tout poudreux, voilà
Qu'ils s'arrêtent devant la grande Mytila
Aux cent pagodes crénelées.

D'éclatantes clameurs emplissent la cité,
Et le Roi les accueille et dit : Je te salue,
Chef des guerriers, effroi de la race velue
Toute noire d'iniquité !

Puisses-tu, seul de tous, tendre, à Daçarathide,
L'arc immense d'or pur que Civa m'a donné !
Ma fille est le trésor par les Dieux destiné
A qui ploîra l'arme splendide.

Je briserai cet arc comme un rameau flétri ;
Les Dêvas m'ont promis la plus belle des femmes !
Il saisit l'arme d'or d'où jaillissent des flammes,
Et la tend d'un bras aguerri.

Et l'arc ploie et se brise avec un bruit terrible.
La foule se prosterne et tremble. Le Roi dit :
Puisse un jour Ravana, sept fois vil et maudit,
Tomber sous ta flèche invincible !

Sois mon fils. - Et l'époux immortel de Sita,
Grâce aux Dieux incarnés qui protègent les justes,
Plein de gloire, revit ses demeures augustes
Et le vieux roi Daçaratha.

Litanies des derniers quartiers de la lune (Jules Laforgue)

Ce brave Jules devait avoir des soucis d'approvisionnement en encre...

Eucharistie
De l'Arcadie,

Qui fais de l'œil
Aux cœurs en deuil,

Ciel des idylles
Qu'on veut stériles,

Fonts baptismaux
Des blancs pierrots,

Dernier ciboire
De notre Histoire,

Vortex-nombril
Du Tout-Nihil,

Miroir et Bible
Des Impassibles,

Hôtel garni
De l'infini,

Sphinx et Joconde
Des défunts mondes,

Ô Chanaan
Du bon Néant,

Néant, La Mecque
Des bibliothèques