Première soirée (Arthur Rimbaud)
Après la publication intégrale d'Evangeline, voici, déposée sur le comptoir de la poésie, la suite de la brève série de poèmes à la carte avec le mot "mot".
En effet, comme proclame un chanteur inénarrable et néammoins national, "les mots, les mots ne sont jamais les mêmes".
Contrairement à la précédente livraison, Arthur Rimbaud nous fournit ici un poème sensuel voire très délicatement érotique.
Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
Assise sur ma grande chaise,
Mi nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d'aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
Je regardai, couleur de cire,
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, - mouche au rosier.
Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s'égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.
Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : "Veux-tu finir !"
La première audace permise,
Le rire feignait de punir !
Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : "Oh ! c'est encore mieux ! ...
Monsieur, j'ai deux mots à te dire ... "
Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D'un bon rire qui voulait bien ...
Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.