samedi 14 juillet 2007

Ballade (Vincent Voiture)

Toi qu'une étoile favorable

Retient au gré de ses desirs,

Dans cette ville desirable

Où demeurent tous les plaisirs ;

Chasse la tristesse importune,

Prends le temps pendant qu'il est tien,

Jouïs de ta bonne fortune,

Mange mon loup, mange mon chien.

Les plaisirs sont suivis de peines,

Et qui peut s'assurer qu'un jour

Il n'ira pas dans les Ardennes,

Ou dans le fond de Luxembourg ?

C'est la loi de nôtre naissance

De sentir le mal et le bien,

Tandis qu'il est en ta puissance,

Mange mon loup, mange mon chien.

Le temps qui toute chose efface,

Par qui tout est enseveli,

Semble user de la même audace

Du Maître de Corbinelly,

Aux Rois, aux Reines, aux Princesses,

Il dit d'un sévère maintien,

Use vîte de tes richesses,

Mange mon loup, mange mon chien.

Beauté juste, sage et sévère,

Dont les yeux peuvent tout charmer,

Marquise que chacun révere

Et qu'aucun n'oserait aimer,

Digne d'avoir sous ton Empire

Cent mille coeurs comme le mien,

Permets que je te puisse dire

Mange mon loup, mange mon chien.

Je voudrois bien, prodigue d'ambre

Qui coute ici beaucoup d'argent,

T'en remplir toute cette chambre,

Où l'on voit un Triton nageant ;

Mais une raison convaincante

Ne veut pas que j'en face rien ;

Prend donc ces Turrons d'Alicante,

Mange mon loup, mange mon chien.

Pour moi, qui, comme Promethée

Me sens déchirer nuit et jour,

Et vois mon ame becquetée

D'un insatiable vautour,

Je dis à cet oiseau funeste,

A qui mon coeur sert d'entretien,

Achève tôt ce qui me reste,

Mange mon loup, mange mon chien.

Je n'ai pû m'empêcher d'écrire ;

Mais si par un mauvais succès,

De ceci, qui n'est que pour rire,

L'on vient à vous faire un procês ;

Interrogez sur ces Affaires

Riés comme Saint Adrien,

Et dites à vos Commissaires,

Mange mon loup, mange mon chien.