dimanche 22 juin 2008

Les pêcheurs à cheval (Emile Verhaeren)

La carte du comptoir des vers propose ce soir un petit Mimile Verhaeren pour faire face au manque désormais chronique d'Arthur Rimbaud et de voyelles ainsi que de Guillaume Apollinaire, de pont Mirabeau et de Nuit Rhénane.

Vagues d'argent et beau ciel clair

Le flot sur les grèves se vide.

Les cinq pêcheurs équestres de Coxyde

Pèchent nonchalamment, sur le bord de la mer.

Dans les lueurs et dans les moires

Des vagues pâles, passent,

Allant, venant,

Leurs silhouettes noires

Les chevaux vieux, les chevaux las,

Parfois lèvent la tête, et regardent là-bas,

L'espace ...

Les mailles traînent

Lentes et pesantes ; dans le remous,

Les bêtes vont, les rênes

Tombantes sur le cou,

Et monotones ;

Le corps houleux, au rythme de leur dos,

Leur cavalier les yeux mi-clos,

Siffle ou chantonne.

Une heure passe, une heure ou deux,

On est heureux ou malchanceux,

Le poisson vient ou bien se cache,

On travaille par les temps chauds, par les temps froids,

Toujours, et néanmoins, on retourne chez soi,

Oh ! que de fois !

Les paniers creux, sonnants et lâches.

Ainsi peinent les pêcheurs vieux,

Contents de rien, contents de peu,

Usant dans le malheur ou dans la chance,

Dans la contrainte et dans l'effort,

Les sabots de l'existence

Qui se brisent un jour et réveillent la mort,

Pourtant, tels soirs d'été, quand, aux heures de lune

Sur leurs chevaux pesants, ils remontent les dunes

Et apparaissent, au loin, sur les crêtes, à contre-ciel,

Chargés de filets et de toiles,

On croirait voir de grands insectes irréels

Qui reviennent de l'infini

Après besogne faite et butin pris,

Dans les étoiles.