jeudi 12 juillet 2007

Jour de fête (Victor Hugo)

Aux environs de Paris

Midi chauffe et sèche la mousse ;

Les champs sont pleins de tambourins ;

On voit dans une lueur douce

Des groupes vagues et sereins.

Là-bas, à l'horizon, poudroie

Le vieux donjon de saint Louis ;

Le soleil dans toute sa joie

Accable les champs éblouis.

L'air brûlant fait, sous ses haleines

Sans murmures et sans échos,

Luire en la fournaise des plaines

La braise des coquelicots.

Les brebis paissent inégales ;

Le jour est splendide et dormant ;

Presque pas d'ombre ; les cigales

Chantent sous le bleu flamboiement.

Voilà les avoines rentrées.

Trêve au travail. Amis, du vin !

Des larges tonnes éventrées

Sort l'éclat de rire divin.

Le buveur chancelle à la table

Qui boite fraternellement.

L'ivrogne se sent véritable ;

Il oublie, ô clair firmament,

Tout, la ligne droite, la gêne,

La loi, le gendarme, l'effroi,

L'ordre ; et l'échalas de Surène

Raille le poteau de l'octroi.

L'âne broute, vieux philosophe ;

L'oreille est longue ; l'âne en rit,

Peu troublé d'un excès d'étoffe,

Et content si le pré fleurit.

Les enfants courent par volée.

Clichy montre, honneur aux anciens !

Sa grande muraille étoilée

Par la mitraille des Prussiens.

La charrette roule et cahote ;

Paris élève au loin sa voix,

Noir chiffonnier qui dans sa hotte

Porte le sombre tas des rois.

On voit au loin les cheminées

Et les dômes d'azur voilés ;

Des filles passent, couronnées

De joie et de fleurs, dans les blés.