samedi 10 novembre 2007

Compagne savoureuse et bonne (Paul Verlaine)

Compagne savoureuse et bonne

À qui j'ai confié le soin

Définitif de ma personne,

Toi mon dernier, mon seul témoin,

Viens çà, chère, que je te baise,

Que je t'embrasse long et fort,

Mon coeur près de ton coeur bat d'aise

Et d'amour pour jusqu'à la mort :

Aime-moi,

Car, sans toi,

Rien ne puis,

Rien ne suis.

Je vais gueux comme un rat d'église

Et toi tu n'as que tes dix doigts,

La table n'est pas souvent mise

Dans nos sous-sols et sous nos toits,

Mais jamais notre lit ne chôme,

Toujours joyeux, toujours fêté

Et j'y suis le roi du royaume

De ta gaîté, de ta santé !

Aime-moi,

Car, sans toi,

Rien ne puis,

Rien ne suis.

Après nos nuits d'amour robuste

Je sors de tes bras mieux trempé,

Ta riche caresse est la juste,

Sans rien de ma chair de trompé,

Ton amour répand la vaillance

Dans tout mon être, comme un vin,

Et, seule, tu sais la science

De me gonfler un coeur divin.

Aime-moi,

Car, sans toi,

Rien ne puis,

Rien ne suis.

Qu'importe ton passé, ma belle,

Et qu'importe, parbleu ! le mien :

Je t'aime d'un amour fidèle

Et tu ne m'as fait que du bien.

Unissons dans nos deux cartes

Le pardon qu'on nous refusait

Et je t'étreins et tu me serres

Et zut au monde qui jasait !

Aime-moi,

Car, sans toi,

Rien ne puis,

Rien ne suis.