samedi 5 janvier 2008

Idylle des pauvres (Jean Richepin)

Après la série sur Evangeline, voici sur le comptoir des vers quelques rimes à la carte avec le mot "mot". Car comme proclame un chanteur inénarrable "les mots, les mots ne sont jamais les mêmes".


L'hiver vient de tousser son dernier coup de rhume

Et fuit, emmitouflé dans sa ouate de brume.

On ne reverra plus, avant qu'il soit longtemps,

Sur la vitre, allumée en prismes éclatants,

Fleurir la fleur du givre aux étoiles d'aiguilles.

Voici qu'un frisson monte à la gorge des filles !

C'est le printemps. Salut, bois verts, oiseaux chanteurs,

Ciel délicat ! La brise, où flottent des senteurs,

Apports on ne sait d'où les amoureuses fièvres ;

Et des baisers, errants dans l'air, cherchent des lèvres.

Mais le dur paysan retourne à ses travaux.

Pour lui, qu'importe avril et ses désirs nouveaux ?

Ce qu'il sait seulement, c'est qu'il faut quitter l'âtre,

Qu'il faut recommencer la lutte opiniâtre

Contre la terre en rut, buveuse de sueurs.

Et le chant des oiseaux, l'aube aux fraîches lueurs,

Les papillons, l'azur, lui disent : Prends ta blouse

Et travaille. La terre est ta femme jalouse

Et veut que tu sois tout à elle, et tout le jour.

Féconde-la, vilain, sans penser à l'amour.

Et le dur paysan baise la terre grise

Sans humer les senteurs qui flottent dans la brise,

Sans ouvrir sa poitrine aux souffles embrasés.

Où vous poserez-vous, vols errants de baisers,

Essaim tourbillonnant des amoureuses fièvres ?

Heureusement pour vous que les gueux ont des lèvres.

Ici deux gueux s'aimaient jusqu'à la pâmoison,

Et cela m'a valu trente jours de prison.

Ô gueux, enivrez-vous de l'amour printanière !

Allez, sous le buisson qui vous sert de tanière,

Personne ne vous voit que le bois et le ciel.

L'abeille, qui bourdonne en butinant son miel,

Ne racontera pas les choses que vous faites.

Le papillon, joyeux de voir les champs en fêtes,

Vole sans bruit parmi la plaine aux cent couleurs,

Et pour vous imiter conte fleurette aux fleurs.

Seul, un oiseau, perché sur la plus haute feuille,

Entend les mots qu'on dit et les baisers qu'on cueille,

Et semble se moquer de vous, le polisson !

Mais tout ce qu'il raconte en l'air n'est que chanson.

Aimez-vous ! Savourez, loin du monde et des hommes,

Ce qu'on a de meilleur sur la terre où nous sommes !

Pâmez-vous dans les bras l'un de l'autre sans fin !

Abreuvez votre soif d'aimer ! A votre faim

Repaissez vous longtemps de caresses trop brèves !

Vivez cette minute ainsi qu'on vit en rêves !

Dans le débordement de ce fleuve vermeil

Noyez les jours sans pain, et les nuits sans sommeil,

Et tout ce qui vous reste à vivre dans la dure !

Ô gueux, soyez heureux ! L'amour vous transfigure.

Malgré vos pauvretés, vous êtes riches, beaux.

De l'amour éternel vous portez les flambeaux.

Oui, l'amour qui fait battre à l'instant votre artère,

C'est celui qui féconde autour de vous la terre

C'est celui dont la brise apporte les senteurs,

C'est celui des bois verts et des oiseaux chanteurs,

Celui qui fait gonfler les seins comme des voiles,

Celui qui dans les cieux fait rouler les étoiles,

C'est l'amour éternel que tout veut apaiser

Et par qui l'univers n'est qu'un vaste baiser.