samedi 5 janvier 2008

Les écrivains (Gérard de Nerval)

Après la série sur Evangeline, voici sur le comptoir des vers quelques rimes à la carte avec le mot "mot". Car comme proclame un chanteur inénarrable "les mots, les mots ne sont jamais les mêmes".


Où fuir ? Où me cacher ? Quel déluge d'écrits,

En ce siècle falot vient infecter Paris,

En vain j'ai reculé devant le Solitaire,

Ô Dieu du mauvais goût ! Faut-il donc pour te plaire

Entasser des grands mots toujours vides de sens,

Chanter l'homme des nuits, ou l'esprit des torrents,

Mais en vain j'ai voulu faire entrer dans ma tête,

La foudre qui soupire au sein de la tempête,

Devant le Renégat j'ai pâli de frayeur ;

Et je ne sais pourquoi les esprits me font peur.

Ô grand Hugo, poète et raisonneur habile,

Viens me montrer cet art et grand et difficile,

Par lequel, le talent fait admirer aux sots,

Des vers, peut-être obscurs, mais riches de grands mots.

Ô Racine, Boileau ! vous n'étiez pas poètes,

Déposez les lauriers qui parèrent vos têtes,

Laissez à nos auteurs cet encens mérité,

Qui n'enivra jamais la médiocrité ;

Que vos vers relégués avec ceux de Virgile,

Fassent encore l'ennui d'un Public imbécile,

lis sont plats, peu sonnants, et souvent ennuyeux,

C'était peut-être assez pour nos tristes aïeux,

Esprits lourds et bornés, sans goût et sans usage,

Mais tout se perfectionne avec le temps et l'âge.

C'est comme vous parlez, ô sublimes auteurs,

Il ne faut pas, dit-on, disputer des couleurs,

Cependant repoussant le style romantique

J'ose encor, malgré vous, admirer le classique

Je suis original, je le sais, j'en conviens,

Mais vous du eomantisme, ô glorieux soutiens,

Allez dans quelques clubs ou dans l'académie

Lire les beaux produits de votre lourd génie,

Sans doute ce jour-là vous serez mis à neuf,

Paré d'un long jabot et d'un habit d'Elbeuf

Vous ferez retentir dans l'illustre assemblée,

Les sons lourds et plaintifs d'une muse ampoulée.

Quoi, misérable auteur que vieillit le travail,

Voilà donc le motif de tout cet attirail,

Surnuméraire obscur du Temple de la gloire,

Tu cherches les bravos d'un nombreux auditoire.

Eh quoi, tu ne crains pas que quelques longs sifflets,

Remplissent le salon de leurs sons indiscrets

Couvrant ta lourde voix au sortir de l'exorde,

En te faisant crier, grâce, Miséricorde !

Et c'était pour l'appât des applaudissements ?

Que dans ton cabinet tu séchas si longtemps ;

Voilà donc le motif de ta longue espérance

Quoi tout fut pour la gloire, et rien pour la science ?

Le savoir n'aurait donc aucun charme puissant

S'il n'était pas suivi d'un triomphe brillant,

Et tu lui préféras une vaine fumée,

Qui n'est pas la solide et bonne renommée

Sans compter direz-vous combien il est flatteur

D'entendre murmurer : C'est lui, ce grand auteur,

D'entendre le public en citer des passages,

Et même après la mort admirer ses ouvrages ;

Pour le défunt, dis-tu, quel triomphe éclatant,

Sans doute pour le mort c'est un grand agrément

Sa gloire embellira sa demeure dernière,

La terre qui le couvre en est bien plus légère.

Ah ! C'est trop vous moquer de nos auteurs nouveaux,

Dis-tu, lorsque vous-même avez tous leurs défauts,

Mais en vain vous voulez censurer leurs ouvrages,

Vous les verrez toujours postuler des suffrages

Vous les verrez toujours occupés tout entiers,

A tirer leurs écrits des mains des épiciers.

Mais vous, qui paraissez faire le moraliste,

De l'état d'Apollon ennuyeux rigoriste

Que retirez-vous de vos discours moraux ?

La haine des auteurs, et l'amitié des sots.

Ô toi qui me tint lieu jusqu'ici d'auditoire

Me crois-tu donc vraiment insensible à la gloire !

Si ma Plume jamais produisait des écrits ;

Qui ravissent la palme à tous nos beaux esprits.

J'aimerais à gagner un hommage sincère,

Mais je plains ton orgueil, écrivain téméraire

Qui crois que les bravos qu'à dîner tu reçois,

Témoignent ton mérite, et sont de bon aloi.

Et cet auteur encore qui sur la place invite

A son maigre dîner, un maigre parasite

Et qui lui dit ensuite à la fin du repas,

"Amis, parlez sans fraude, et ne me flattez pas,

" Trouvez-vous mes vers bons ? Dites en conscience"

Peut-il à votre avis dire ce qu'il en pense ?

En plein barreau Damis est traité de voleur

Il prend pour sa défense un célèbre orateur

Comment défendra-t-il une cause pareille ?

Par des mots, de grands mots, et l'on dira, Merveille !

Eh ! Quoi peuple ignorant, vous gardez vos bravos,

Et vos cris répétés pour encenser les sots,

Croyez-vous qu'en chantant une chanson risible,

Un pauvre à ses malheurs me rende bien sensible

Non, à d'autres plus sots il pourra s'adresser,

Et le vrai, le vrai seul pourra m'intéresser.