lundi 30 juillet 2007

Contre quelques uns qui le blamaient de suivre la poésie (Jacques Tahureau)

D'où vient cela que l'envieuse rage,

Qui les coeurs ronge, entreprend de blâmer

Mes ans oisifs, et les vers un ouvrage

D'un pauvre esprit et paresseux nommer,

En m'accusant que je ne suis la trace,

Étant dispos, de mes nobles aïeux,

Qui ont conquis par la poudreuse place

Et par le sang maint loyer vertueux ?

Ou bien pourquoi me reprend-elle d'être

Si peu soigneux d'étudier la loi,

Pour l'aller vendre au palais, qui fait naître

Un bruit confu et mercenaire aboi ?

Telle entreprise en vain tant estimée

Ne fuit de mort les accidents divers;

Mais j'aurai bien une autre renommée

Dont je vivrai sans fin en l'univers.

Pindare vit et du divin Horace

Encores n'est aboli le renom,

Et ne mourra jamais la haute grâce

Du Mantouan, célèbre par son nom.

Qui priserait d'Achille la vaillance,

Si le poète aveugle n'eût tranché

L'aile envieuse à l'endormi silence,

Dessous laquelle il fût sans lui caché ?

Qui nous ferait admirer la sagesse

Le tant divin et prévoyant esprit

Du caut Ulysse, honoré par la Grèce,

S'il n'était vu dépeint au même écrit ?

Pendant qu'amour d'une flèche dorée

De la jeunesse enflammera les coeurs,

Des amoureux la plume enamourée,

Vivra toujours entre cent mille honneurs.

Du vieil Ennie et de Vare sans cesse

Le grand renom immortel se dira,

Et les beaux vers de ce hautain Lucrèce

Lors périront quand ce tout périra.

Le style aussi du doux coulant Ovide,

Tout doucement par nombres mesuré,

Jamais de gloire et los ne sera vide,

Contre le heurt de tout temps assuré.

De quoi le Loir, de quoi s'enfle la Loire,

Sinon du bruit débordant en tous lieux

De son Ronsard et du Bellay, sa gloire,

Pour les porter d'ici là-haut aux cieux ?

Doncques, pourquoi ne pourrai-je bien être

L'honneur du Maine et de Sarthe nommé,

Pour avoir un des premiers fait connaître

En ce lieu-là le luc bien animé?

Que tous les rois et leur gloire étoffée

Cèdent adonc aux hommes bien disants,

Dont les écrits leur haussent un trophée

Pour se venger du long oubli des ans.

Que l'ignorant prise la chose basse;

Mais le mari des Muses bien appris,

Aura toujours cette hautaine grâce

Qu'il ne voudra que celle de grand prix.

Quant est de moi, rien plus je ne souhaite

Que d'Apollon me voir favoriser,

Et pour me voir son excellent poète,

Pouvoir de l'eau d'Hélicon épuiser;

A celle fin qu'une belle couronne

Ceigne mon front de laurier couronné,

Et que l'honneur qu'aux beaux écrits on donne

Soit quelquefois à mon livre donné.

Pendant qu'on vit, la pâlissante envie

Des bons esprits aboie le renom :

Mais tôt après, se finissant la vie,

On leur voit rendre
un perdurable nom.

J'espère bien, mêmes après l'audace

Et de la mort et du temps oublieux,

Que mes écrits gagneront quelque place,

Malgré l'aboi de ces chiens envieux.