lundi 17 septembre 2007

Fantaisie triste (Aristide Bruant)

I' bruinait... L' temps était gris,

On n'voyait pus l' ciel ... L'atmosphère,

Semblant suer au d'ssus d' Paris,

Tombait en bué' su' la terre.

I' soufflait quéqu'chose... on n'sait d'où,

C'était ni du vent ni d'la bise,

Ça glissait entre le col et l'cou

Et ça glaçait sous not' chemise.

Nous marchions d'vant nous, dans l'brouillard,

On distinguait des gens maussades,

Nous, nous suivions un corbillard

Emportant l'un d'nos camarades.

Bon Dieu ! qu'ça faisait froid dans l'dos !

Et pis c'est qu'on n'allait pas vite ;

La moell' se figeait dans les os,

Ça puait l'rhume et la bronchite.

Dans l'air y avait pas un moineau,

Pas un pinson, pas un' colombe,

Le long des pierres il coulait d'l'eau,

Et ces pierr's-là... c'était sa tombe.

Et je m'disais, pensant à lui

Qu' j'avais vu rire au mois de septembre

Bon Dieu ! qu'il aura froid c'tte nuit !

C'est triste d'mourir en décembre.

J'ai toujours aimé l'bourguignon,

I' m' sourit chaqu' fois qu' i' s'allume ;

J' voudrais pas avoir le guignon

D' m'en aller par un jour de brume.

Quand on s'est connu l' teint vermeil,

Riant, chantant, vidant son verre,

On aim' ben un rayon d'soleil...

Le jour ousqu' on vous porte en terre.