dimanche 16 septembre 2007

Le désir (Anatole France)

Je sais la vanité de tout désir profane.

A peine gardons-nous de tes amours défunts,

Femme, ce que la fleur qui sur ton sein se fane

Y laisse d'âme et de parfums.

Ils n'ont, les plus beaux bras, que des chaînes d'argile,

Indolentes autour du col le plus aimé ;

Avant d'être rompu leur doux cercle fragile

Ne s'était pas même fermé.

Mélancolique nuit des chevelures sombres,

A quoi bon s'attarder dans ton enivrement,

Si, comme dans la mort, nul ne peut sous tes ombres

Se plonger éternellement ?

Narines qui gonflez vos ailes de colombe,

Avec les longs dédains d'une belle fierté,

Pour la dernière fois, à l'odeur de la tombe,

Vous aurez déjà palpité.

Lèvres, vivantes fleurs, nobles roses sanglantes,

Vous épanouissant lorsque nous vous baisons,

Quelques feux de cristal en quelques nuits brûlantes

Sèchent vos brèves floraisons.

Où tend le vain effort de deux bouches unies ?

Le plus long des baisers trompe notre dessein ;

Et comment appuyer nos langueurs infinies

Sur la fragilité d'un sein ?