lundi 9 juin 2008

Fuite en Sologne (Victor Hugo)

La carte du comptoir des vers, désespérement en panne d'Arthur Rimbaud et de voyelles ainsi que de Guillaume Apollinaire, de pont Mirabeau et de Nuit Rhénane, se rabat sur une valeur sure : Victor Hugo !

Ami, viens me rejoindre.

Les bois sont innocents.

Il est bon de voir poindre

L'aube des paysans.

Paris, morne et farouche,

Pousse des hurlements

Et se tord sous la douche

Des noirs événements.

Il revient, loi sinistre,

Etrange état normal !

A l'ennui par le cuistre

Et par le monstre au mal.

J'ai fui, viens. C'est dans l'ombre

Que nous nous réchauffons.

J'habite un pays sombre

Plein de rêves profonds.

Les récits de grand-mère

Et les signes de croix

Ont mis une chimère

Charmante, dans les bois.

Ici, sous chaque porte,

S'assied le fabliau,

Nain du foyer qui porte

Perruque in-folio.

L'elfe dans les nymphées

Fait tourner ses fuseaux ;

Ici l'on a des fées

Comme ailleurs des oiseaux.

Le conte, aimé des chaumes,

Trouve au bord des chemins,

Parfois, un nid de gnomes

Qu'il prend dans ses deux mains.

Les follets sont des drôles

Pétris d'ombre et d'azur

Qui font aux creux des saules

Un flamboiement obscur.

Le faune aux doigts d'écorce

Rapproche par moments

Sous la table au pied torse

Les genoux des amants.

Le soir un lutin cogne

Aux plafonds des manoirs,

Les étangs de Sologne

Sont de pâles miroirs.

Les nénuphars des berges

Me regardent la nuit ;

Les fleurs semblent des vierges,

L'âme des choses luit.

Cette bruyère est douce ;

Ici le ciel est bleu,

L'homme vit, le blé pousse

Dans la bonté de Dieu.

J'habite sous les chênes

Frémissants et calmants ;

L'air est tiède, et les plaines

Sont des rayonnements.

Je me suis fait un gîte

D'arbres, sourds à nos pas ;

Ce que le vent agite,

L'homme ne l'émeut pas.

Le matin, je sommeille

Confusément encor.

L'aube arrive vermeille

Dans une gloire d'or.

Ami, dit la ramée,

Il fait jour maintenant.

Une mouche enfermée

M'éveille en bourdonnant.

Viens, loin des catastrophes,

Mêler sous nos berceaux

Le frisson de tes strophes

Au tremblement des eaux.

Viens, l'étang solitaire

Est un poème aussi.

Les lacs ont le mystère,

Nos coeurs ont le souci.

Tout comme l'hirondelle,

La stance quelquefois

Aime à mouiller son aile

Dans la mare des bois.

C'est, la tête inondée

Des pleurs de la forêt,

Que souvent le spondée

A Virgile apparaît.

C'est des sources, des îles,

Du hêtre et du glaïeul

Que sort ce tas d'idylles

Dont Tityre est l'aïeul.

Segrais, chez Pan son hôte,

Fit un livre serein

Où la grenouille saute

Du sonnet au quatrain.

Pendant qu'en sa nacelle

Racan chantait Babet,

Du bec de la sarcelle

Une rime tombait.

Moi, ce serait ma joie

D'errer dans la fraîcheur

D'une églogue où l'on voie

Fuir le martin-pêcheur.

L'ode même, superbe,

Jamais ne renia

Toute cette grande herbe

Où rit Titania.

Ami, l'étang révèle

Et mêle, brin à brin,

Une flore nouvelle

Au vieil alexandrin.

Le style se retrempe

Lorsque nous le plongeons

Dans cette eau sombre où rampe

Un esprit sous les joncs.

Viens, pour peu que tu veuilles

Voir croître dans ton vers

La sphaigne aux larges feuilles

Et les grands roseaux verts.