mardi 2 septembre 2008

Les assis (Arthur Rimbaud)

La carte du comptoir des vers, dans le cadre de sa série sur la matière première du poème le pied, poursuit l'exploitation d'un filon d'Arthur Rimbaud.
Ici un poème bizarre et triste beaucoup moins connu que
Voyelles, Sensations, Ma Bohème, Chanson de la plus haute tour, le Dormeur du Val, le Bateau Ivre, Vénus Anadyomène, Mes petites amoureuses ou l'Orgie parisienne.

Hélas, toujours pas de
Guillaume Apollinaire (le Pont Mirabeau, Nuit Rhénane, l'Adieu ...) en vue, même en montant sur un chaise pour observer l'horizon ...


Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues

Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs,

Le sinciput plaqué de hargnosités vagues

Comme les floraisons lépreuses des vieux murs,

Ils ont greffé dans des amours épileptiques

Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs

De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques

S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !

Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges,

Sentant les soleils vifs percaliser leur peau,

Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges,

Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.

Et les Sièges leur ont des bontés : culottée

De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ;

L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée

Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.

Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes,

Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour,

S'écoutent clapoter des barcarolles tristes,

Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.

Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage ...

Ils surgissent, grondant comme des chats giflés,

Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage !

Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.

Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves,

Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,

Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves

Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors !

Puis ils ont une main invisible qui tue :

Au retour, leur regard filtre ce venin noir

Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue,

Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.

Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales,

Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever

Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales

Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever.

Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières,

Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés,

De vrais petits amours de chaises en lisière

Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés,

Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule

Les bercent, le long des calices accroupis

Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules

Et leur membre s'agace à des barbes d'épis.