mercredi 27 juin 2007

L'ancienne gloire (Emile Verhaeren)

Dans le silence et la grandeur des cathédrales,

La cité, riche avait jadis, dressé vers Dieu

De merveilleux autels,, tordus comme des feux

Cuivres, bronzes, argents, cartes, rinceaux, spirales.

Les chefs vainqueurs et leurs soldats

Y suspendaient les vieux drapeaux de guerre ;

Et les autels décorés d'or,

Aux yeux de ceux qui sortaient des combats,

Apparaissaient alors

Comme un arrière immense de galère.

D'entre les hauts piliers, jaillissaient les buccins ;

Des archanges farouches

Y appuyaient leur bouche

Et dans un gonflement de la gorge et des seins

Sonnaient vers les vents de la Gloire

La vie ardente et la victoire.

Sur les marbres des escaliers,

Les bras géants des chandeliers

Dressaient leurs cires enflammées.

Les encensoirs volaient dans les fumées ;

Les ex-votos luisaient comme un fourmillement

D'yeux et de coeurs, dans l'ombre ;

L'orgue, ainsi qu'une marée, immensément

Grondait ; des rafales de voix sans nombre

Sortaient du temple et résonnaient jusqu'au beffroi

Et le prêtre vêtu d'orfroi

Au milieu des pennons brandis et des bombardes,

Levait l'épée et lentement traçait avec la garde

Sur le front des héros, le signe de la croix.

Oh ! ces autels pareils à des brasiers sculptés,

Avec leur flore énorme et leurs feux tourmentés ;

Massifs et violents, exorbitants et fous,

Ils demeurent encor, parmi les villes mortes.

Debout

Alors qu'on n'entend plus les chefs et leurs escortes

Sabres, clairons, soleils, lances, drapeaux, tambours,

Rentrer par les remparts et passer les faubourgs

Et revenir, comme autrefois, au coeur des places,

Planter leur étendard dont s'exalta l'espace.

La gloire est loin et son miracle :

Les Archanges qui couronnent le tabernacle,

Comme autant d'énormes Renommées,

Ne sonnent plus pour les armées.

Avec prudence, on a réfugié

L'emblématique et colossal lion,

Dans le blason de la cité ;

Et, vers midi, le carillon,

Avec ses notes lasses

Ne laisse plus danser

Sur la grand'place

Et s'épuiser,

Qu'un petit air estropié.