samedi 28 juillet 2007

Les cierges (Emile Verhaeren)

Ongles de feu, cierges ! - Ils s'allument, les soirs,

Doigts mystiques dressés sur des chandeliers d'or,

A minces et jaunes flammes, dans un décor

Et de cartes et de blasons et de draps noirs.

Ils s'allument dans le silence et les ténèbres,

Avec le grésil bref et méchant de leur cire,

Et se moquent - et l'on croirait entendre rire

Les prières autour des estrades funèbres.

Les morts, ils sont couchés très longs dans leurs remords

Et leur linceul très pâle et les deux pieds dressés

En pointe et les regards en l'air et trépassés

Et repartis chercher ailleurs les autres morts.

Chercher ? Et les cierges les conduisent ; les cierges

Pour les charmer et leur illuminer la route

Et leur souffler la peur et leur souffler le doute

Aux carrefours multipliés des chemins vierges.

Ils ne trouveront point les morts aimés jadis,

Ni les anciens baisers, ni les doux bras tendus,

Ni les amours lointains, ni les destins perdus ;

Car les cierges ne mènent pas en paradis.

Ils s'allument dans le silence et les ténèbres,

Avec le grésil bref et méchant de leur cire

Et se moquent - et l'on entend gratter leur rire

Autour des estrades et des cartels funèbres.

Ongles pâles dressés sur des chandeliers d'or !