dimanche 15 février 2009

L'une d'elles (René François Sully Prudhomme)

La carte du comptoir des vers présente à son menu l'une d'elles long et insipide opus immobilier de Sully Prudhomme.

A défaut, la carte du comptoir des poésies, sans aucun autre commentaire, suggère aussi sa sélection :

- Edmond Rostand : tirade des nez de Cyrano de Bergerac, petit chat, sept moyens de monter dans la Lune (Cyrano de Bergerac), l'hymne au soleil, rois mages, nénuphars

- Arthur Rimbaud : le bateau ivre, le dormeur du val, voyelles, sensations, Vénus Anadyomène, petites amoureuses, chanson de la plus haute tour, ma Bohème, l'orgie parisienne, Michel et Christine, les mains de Jeanne-Marie, les assis, l'homme juste, au cabaret vert (cinq heures du soir), Marine, soleil et chair, tête de faune, à la musique, première soirée, aube, chant de guerre parisien, les douaniers, Bruxelles, mouvement, jeune ménage, age d'or, ô saisons ô chateaux, les étrennes des orphelins

- Guillaume Apollinaire : le Pont Mirabeau, nuit rhénane, Marizibill, l'émigrant de Landor Road, dans l'abri-caverne, ô naturel désir, acousmate, Annie, l'adieu, la Victoire, à l'Italie, le chef de section, nocturne, le vigneron champenois, chant de l'horizon en Champagne, à la Santé

- Louis Aragon : l'étrangère, que serais-je sans toi ?, est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Elsa, chambres d'un moment, chambre garnie, les mains d'Elsa, Santa Espina, la rose et le réséda, Elsa au miroir, Charlot mystique, nous dormirons ensemble, l'affiche rouge, un jour un jour, la belle italienne, j'arrive où je suis étranger, les yeux d'Elsa

-
Charles Baudelaire : l'albatros, les bijoux, je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre (prélude à Sarah), toute entière, confession, "j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans", quand le ciel bas et lours pèse comme un couvercle, les ténèbres, le soleil, à celle qui est trop gaie, correspondances, une mendiante rousse, une martyre, à une dame créole, le chat

- José Maria de Heredia : les conquérants, le voeu, soir de bataille, le tepidarium, le vitrail, la belle viole, l'esclave, fleurs de feu, Tranquillus

- Joachim du Bellay : heureux qui comme Ulysse, au fleuve de Loire


Les grands appartements qu'elle habite l'hiver

Sont tièdes. Aux plafonds, légers comme l'éther,

Planent d'amoureuses peintures.

Nul bruit, partout les voix, les pas sont assoupis

Par la laine opulente et molle des tapis

Et l'ample velours des tentures.

Aux fenêtres, dehors, la grêle a beau sévir,

Sous ses balles de glace à peine on sent frémir

L'épais vitrail qui les renvoie,

Et la neige et le givre aux glaciales fleurs

Restent voilés aux yeux sous les chaudes couleurs

De longs rideaux brochés de soie.

Là, dans de vieux tableaux, le ciel vénitien

Prête au soleil de France un effluve du sien ;

Et sur la haute cheminée,

Dans des vases ravis en Grèce à des autels,

Des lis renouvelés qu'on dirait immortels

Ne font qu'un printemps de l'année.

Sa chambre est toute bleue et suave ; on y sent

Le vestige embaumé de quelque oeillet absent

Dont l'air a gardé la mémoire,

Ses genoux, pour prier, posent sur du satin,

Et ses aïeux tenaient d'un maître florentin

Son crucifix de vieil ivoire.

Elle peut, lasse enfin des salons somptueux,

Goûter de son boudoir le jour voluptueux

sommeille un vague mystère,

Et là ses yeux levés rencontrent un Watteau

Où de sveltes amants, un pied sur le bateau,

Vont appareiller pour Cythère.

L'hiver passe, elle émigre en sa villa d'été.

Elle y trouve le ciel, l'immense aménité

Des monts, des vallons et des plaines ;

Depuis les dahlias qui bordent la maison

Jusques au dernier flot des blés à l'horizon,

Elle ne voit que ses domaines.

Puis c'est la promenade en barque sur les lacs,

La sieste à l'ombre au fond des paresseux hamacs,

La course aux prés en jupes blanches,

Et le roulement doux des calèches au bois,

Et le galop, voilette au front, badine aux doigts,

Sous le mobile arceau des branches,

Et, par les midis lourds, les délices du bain :

Deux jets purs inondant la vasque dont sa main

Tourne à son gré les cols de cygnes,

Et le charme du frais, suave abattement

Où, rêveuse, elle voit sous l'eau, presque en dormant,

De son beau corps trembler les lignes.

Ainsi coulent ses jours, pareils aux jours heureux ;

Mais un secret fardeau s'appesantit sur eux,

Ils ne sont pas dignes d'envie.

On lit dans son regard fiévreux ou somnolent,

Dans son rare sourire et dans son geste lent

Le dégoût amer de la vie.

Oh ! Quelle âme entendra sa pauvre âme crier ?

Quel sauveur magnanime et beau, quel chevalier

Doit survenir à l'improviste,

Et l'enlever en croupe, et l'emporter là-bas,

Sous un chaume enfoui dans l'herbe et les lilas,

Loin, bien loin de ce luxe triste ?

Personne. Elle dédaigne un criminel espoir,

Et se plaît à languir, en proie à son devoir.

Morte sous ses parures neuves,

Elle n'a pas d'amour, l'honneur le lui défend,

Misérablement riche, elle n'a pas d'enfant,

Elle est plus seule que les veuves.