vendredi 30 novembre 2007

Evangéline (Henry Wadsworth Longfellow) [douzième partie]

Evangéline est un très long et très épique poème de Henry Wadsworth Longfellow (plus de 3000 lignes et 20 000 mots) qui raconte la déportation des Acadiens.
Ce poème a eu un grand effet sur les cultures acadiennes et
canadiennes (d'après Wikipedia).
La traduction en
français est due à Pamphile Le May.
Poésie en vrac va publier petit à petit l'intégralité de ce poème incroyable.

Tout à coup, dans la foule, on voit le vieux Basile,
Frémissant, agité comme le mât fragile
Que fouette sur la mer un souffle violent,
Lever son large poing et, l'oeil étincelant,
Crier : "A bas ! ces gueux ! Ils ne sont pas nos maîtres.
"A bas ! ces étrangers, ces perfides, ces traîtres
"Qui veulent nous chasser de nos humbles maisons !
"Nous n'avons pas trahi. Quelles sont leurs raisons ?
Mais il n'eut pas le temps d'en dire davantage ;
Un soldat riposta:
-"Tiens! voilà ton partage. . .
On a, vil paysan, sur nous assez bavé."
Et d'un coup sur la bouche il le cloue au pavé.

Or, pendant que les cris de ceux qu'on brutalise
Font ainsi retentir la voûte de l'église,
Abîmé de chagrin, le vieux et saint pasteur
Jusqu'au pied de l’autel s’avance avec lenteur,
Et fait signe des mains à cette haîne folle
Qu'il veut parler. Alors tout se tait. Sa parole
Retentit comme un glas quand vient le jour des morts.

«Hélas! que faites-vous, et pourquoi ces transports ?
«Pourquoi ces cris ? pourquoi cette aveugle colère ?
«N'avez-vous pas compris ma bonté tutélaire,
«Alors que j’ai voulu vous rendre humbles de coeur ?
«Quand vous osez maudire un barbare vainqueur,
«Aux âmes des paysans vos âmes sont pareilles. . .
«J'ai perdu quarante ans d'oraisons et de veilles,
«Si vous n'êtes meilleurs; si vous ne savez plus
«Pardonner aux méchants comme font les élus;
«Si, loin de pardonner, vous cherchez la vengeance.

«C'est ici la maison d'un Dieu plein d'indulgence,
«Ne la profanez point par d’aveugles excès.
«La haîne ici doit-elle, hélas ! avoir accès ?
«Oh! voyez sur la croix ce Dieu qui vous contemple !
«Ce Dieu crucifié doit vous servir d'exemple
«Il souffre sans se plaindre. Imitez sa douceur.
«Du complot qui le tue il connaît la noirceur;
«Il se soumet pourtant. Voyez ! sa lèvre pâle
«Semble jeter encore, au moment où s'exhale,
«Dans un dernier frisson, sa dernière douleur,
«Ce cri d'amour divin:
«Père, pardonnez-leur !»
«les enfants. disons donc, nous que la peine accable
«Nous qui sommes l'objet d'une haîne implacable:
«Père, pardonnez-leur!»
Quand l'orage a cessé,
On entend la chanson dans le nid oppressé,
On voit le pré verdir et le calme renaître;
Tels les coeurs abattus, aux paroles de prêtre
Retrouvèrent la force et la tranquillité.
Tous ces bons villageois, avec humilité
Levèrent sur le Christ des regards d'espérance;
Ils s'écrièrent tous, oubliant leur souffrance
À genoux et plaintifs dans leur profond malheur:
«Pitié, pitié, mon Dieu! mon Dieu, pardonnez-leur !»

Le jour baisse, et Grand-Pré si riant agonise !
Pendant que le départ en hâte s'organise,
Un clerc vient allumer les cierges de l'autel,
Et le pasteur, cachant son malaise mortel,
Chante un hymne divin. La foule, agenouillée,
Répond. Sa voix est forte, et les pleurs l'ont mouillée.
Sur l'aile de l'amour elle montait vers Dieu,
Comme monta jadis Élie en char de feu.

Un affreux désespoir du village s'empare,
Alors que des Anglais la conduite barbare
Est connue. Et l'on voit tremblants, épouvantés,
Les femmes, les enfants, courir de tous côtés.

Pendant qu'au temple saint l'iniquité s'opère,
Évangéline, en pleurs, attend son pauvre père.
Elle est dehors, la main au-dessus de ses yeux,
Afin de se garer du soleil radieux,
Qui verse, tout à coup, des torrents de lumière
À l'arbre du chemin, au toit de la chaumière.
Elle avait mis déjà sur la nappe de lin,
Pour le repas du soir, la corbeille de pain,
Et le flacon de cidre, et le nouveau fromage,
Et le miel odorant comme la fleur sauvage,
Puis, elle avait ensuite approché le fauteuil.

Ainsi l'infortunée attendit sur le seuil,
Jusqu'à l'heure tardive où loin, dans les prairies,
Les ombres des grands pins sur les herbes fleuries
S'allongent vers le soir. Et, comme une ombre aussi,
Descendit la terreur dans son coeur tout transi.
Elle était accablée. et pourtant sa jeune âme,
Comme un jardin céleste, exhalait le dictame
De l'espérance douce et de la charité.


Pour en savoir plus sur l'Acadie et Evangéline (avec notamment quelques cartes géographiques anciennes de l'Acadie) :