lundi 26 novembre 2007

Evangéline (Henry Wadsworth Longfellow) [onzième partie]

Evangéline est un très long et très épique poème de Henry Wadsworth Longfellow (plus de 3000 lignes et 20 000 mots) qui raconte la déportation des Acadiens.
Ce poème a eu un grand effet sur les cultures acadiennes et
canadiennes (d'après Wikipedia).
La traduction en
français est due à Pamphile Le May.
Poésie en vrac va publier petit à petit l'intégralité de ce poème incroyable.


Avec le vieux LeBlanc, dans l'ombre du portique,
Le prêtre vint s'asseoir sur un siège rustique;
Et de leurs chers enfants s'entretenant tous deux,
Basile et le fermier se placèrent près d'eux.
Joueur de violon, le vieux Michel se juche,
Gilet neuf et pimpant, à côté d'une ruche.
Le violon vibra. Le barde, sans façon,
Dit les bourgeois de Chartres, et mainte autre chanson.
Sa voix un peu tremblante était encore sure,
Et son sabot de bois battait bien la mesure.
Descendant mollement des arbres d'alentour,
Une ombre, un rayon d'or se jouaient tour à tour
Sur ses longs cheveux blancs qui flottaient à la brise.

Sa face, rose encore malgré sa barbe grise,
Brillait comme un charbon dans le fond du foyer,
Quand le vent prend la cendre et la fait tournoyer.

Et gaîment, et toujours, sur les cordes vibrantes
Il promenait l'archet. Les rondes enivrantes
Continuaient sur l'herbe, à l'ombre du verger.
Le gazon s'inclina sous le pied tout léger
Des jeunes et des vieux, confondus dans la danse.
Les joyeux tourbillons roulèrent en cadence
Sur le rustre parquet, sans trêve, sans repos,
Au milieu du franc rire et des tendres propos.
La plus jolie alors, et pourtant la moins vaine,
C'était la douce enfant du vieux Bellefontaine;
Le garçon le plus sage et le moins fanfaron,
C'était bien Gabriel, le fils du forgeron.

Le matin passait vite, on était dans l'ivresse :
Mais voici qu'arrivait l'heure de la détresse.
Soudain l'on entendit les appels du tambour :
La cloche, au même instant, gémit dans l'humble tour,
Et l'église bientôt se remplit tout entière.

Tremblant pour leurs époux, au fond du cimetière,
Les femmes du village, en pleurs et longuement,
Attendirent la fin du triste événement.
Et, dans leur foi touchante, aux sépulcrales pierres,
Elles allaient offrir des rameaux et des lierres,
Qu'elles avaient coupés dans la forêt, là-bas.

Voilà que sur les bords descendent ces soldats
Que l'histoire implacable à jamais stigmatise.
Ils marchent fièrement et, dans leur vaillantise,
Ils battent le tambour sous les sacrés arceaux.
Devant cette imprudence et devant ces assauts,
Une instinctive peur s'empare de la foule.

Elle veut s'échapper, sortir. On la refoule;
Et la porte se ferme au râle des verroux.
Il passe sous la voûte un frisson de courroux;
Mais qu'importe l'effort que la ruse devance?

Bientôt le commandant avec orgueil s'avance,
Monte jusqu'à l’autel, se tourne et parle ainsi:

"C'est par l'ordre du roi que vous êtes ici. . ..
"Il me faut, paysans, exécuter cet ordre,
"Comme il me faut aussi réprimer le désordre.
"Notre roi fut pour vous généreux et clément,
"Cela, vous le savez. Et cependant comment
"A ses bienfaits nombreux osez-vous donc répondre?
"Consultez votre coeur il pourra vous confondre.
"Paysans, il me reste un devoir à remplir,
"Un pénible devoir; mais dois-je donc faiblir?
"Dois-je faire à regret ce que mon roi m'ordonne ?
"Je viens pour confisquer, au nom de la couronne,
"Vos terres, vos maisons, et tous vos bestiaux.
"On va vous transporter, grâce aux décrets royaux,
"Sur un autre rivage où vous serez, j'espère,
"Un peuple obéissant, travailleur et prospère . . .
"Vous êtes prisonniers, au nom du Souverain."

En été, quelquefois, après un jour serein,
On voit, à l'horizon, un nuage s'étendre.
Un grondement lointain se fait alors entendre,
Et le soleil, pâli, semble hâter son cours.
Tout s'agite un moment, tout cherche du secours,
puis tout se tait. L'oiseau sous la forêt s'envole,
Et vers les bords ombreux s'élance la gondole.
La feuille est immobile et l'air est étouffant.
Mais voilà que soudain le nuage se fend,
Le ciel vomit la flamme; et la pluie et la grêle,
Sous leurs fouets crépitants, brisent l'arbuste frêle,

Le chaume d'or des toits, et les fleurs et les blés.
Alors les bestiaux se regardent troublés.
Ils ont peur. Puis ensemble, oubliant la pâture,
Ils s'élancent, beuglants, le long de la clôture,
Pour s'ouvrir un passage et chercher des abris.
Ainsi les villageois se regardent surpris,
A cette heure fatale où le cruel ministre
Ose leur faire part de cet arrêt sinistre.
Inclinant leurs fronts nus, mornes de désespoir,
Ils semblent se soumettre au suprême pouvoir.
Mais la pensée enfin d'un si profond outrage,
Les pousse à secouer, dans un accès de rage,
Ce joug qui n'est pas fait pour un peuple humble et doux.
Ils attaquent la porte, elle résiste aux coups.
Elle ne s'ouvre plus ! Des sanglots, des prières,
Des imprécations et des menaces fières
Font bien haut retentir, en cet affreux moment,
Le lieu de la prière et du recueillement.


Pour en savoir plus sur l'Acadie et Evangéline (avec notamment quelques cartes géographiques anciennes de l'Acadie) :