Evangéline (Henry Wadsworth Longfellow) [vingt-troisième partie]
Evangéline est un très long et très épique poème de Henry Wadsworth Longfellow (plus de 3000 lignes et 20 000 mots) qui raconte la déportation des Acadiens. Ce texte est un petit chef d'oeuvre de poncifs et d'images bien pensantes en faveur de la religion catholique, des français d'Amérique et des USA et au détriment des anglais.
Ce poème a eu un grand effet sur les cultures acadiennes et canadiennes (d'après Wikipedia).
La traduction en français est due à Pamphile Le May.
Poésie en vrac va publier petit à petit l'intégralité de ce poème incroyable.
Les voyageurs, touchés de ces naïfs accents,
S'avancèrent sans bruit, la tête découverte,
Se mirent à genoux sur la pelouse verte,
Et prièrent longtemps avec dévotion.
Quand le prêtre eut donné la bénédiction,
Qui tomba de sa main sur ces têtes chéries,
Comme sur les sillons ouverts dans les prairies,
Tombe le grain de blé de la main du semeur,
Il s'avança vers eux, sollicitant l'honneur
De les avoir dès lors pour hôtes dans sa tente.
Basile, un peu confus, d'une voix hésitante,
L'assure au nom de tous d'un respect
En entendant parler son langage natal,
Le ministre de Dieu sent une grande joie.
Par un large sentier où la verdure ondoie,
Entre deux rangs de gens curieux et dévots,
Il guide à son wigwam les visiteurs nouveaux,
Et pour siège il étend la dépouille du fauve.
Il signe de la croix son front auguste et chauve,
Et simple, et souriant, sur un fruste tapis
Il met le maïs d'or en gâteaux, en épis,
Il leur sert, d'une main qui n'est pas encor lourde,
Pour apaiser leur soif, l'eau fraîche de sa gourde.
Tout en se reposant sur les nattes de peaux,
Ils disent leur histoire. À ces tristes propos
Le saint prêtre répond d'une voix solennelle :
«L'aube n'a pas six fois aux cieux ouvert son aile,
«Le soleil ne s'est point six fois non plus enfui
«Depuis que Gabriel, car enfin c'est bien lui,
«S'est assis sur la natte où la vierge est assise.
«Pour se rendre à mes voeux, d'une voix indécise
«Il me fit longuement ce triste récit-là;
«Je le bénis ensuite, et puis il s'en alla.»
La voix de ce pasteur était très onctueuse.
C'était l'aimable écho d'une âme vertueuse,
Qui sait trouver léger le fardeau du devoir,
Pour la proscrite, hélas ! c'était le désespoir.
Chaque mot dans son coeur qu'un nouveau deuil assiège
Tombe, comme en hiver, les blancs flocons de neige
Dans le nid d'où l'oiseau s'est à peine envolé.
«Il va chasser bien loin, dans le nord désolé,
«Continua le prêtre, à la saison prochaine
«Il viendra de nouveau prier sous le grand chêne.»
Évangéline dit, en poussant un soupir :
«Mon âme est abattue et lasse de souffrir . . .
«Mon père, permettez qu'avec vous je demeure,
«Pour attendre l'époux ou bien ma dernière heure.»
Et le missionnaire, accédant à ses voeux,
Répondit tout ému : «Mon enfant, je le veux.»
Le lendemain matin, revêtu de son aube,
Le prêtre dit la messe, à la clarté de l’aube;
Et quand fut consommé l'holocauste divin,
Basile fit seller son coursier mexicain
Et partit. Il allait, jouet d'un triste leurre,
Avec ses guides sûrs regagner sa demeure.
Les jours se succédaient lentement, lentement,
Et partout le mars, qui semblait seulement
Un verdoyant duvet répandu sur la terre,
Quand l'exilée entra dans le bourg solitaire,
Balançait aujourd'hui, comme des flots mouvants,
Ses longues tiges d'or au caprice des vents.
Et l'étrange fouillis de ses feuilles vermeilles
Offrait une cachette aux voraces corneilles,
Ou formait un grenier dont l’agile écureuil,
Pour se gorger, passait à chaque instant le seuil.
On dépouillait déjà, dans l'amour et la joie,
Les épis couronnés d'une aigrette de soie.
Les filles du hameau rougissaient si leur main
Développait alors des graines de carmin,
Les filles rougissaient et cachaient leur visage,
En riant en secret de l’amoureux présage,
Mais elles se moquaient du pauvre épi tortu,
L'appelaient un brigand, un épi sans vertu
Qui ne méritait pas sa place dans la tresse.
Auprès d'Évangéline étrangère à l'ivresse,
Alors nul rouge épi n'amena Gabriel.
Le prêtre lui disait : «Laisse faire le ciel,
«Et le ciel à la fin entendra ta prière.
«Dans le champ du Seigneur sois fidèle ouvrière.
«Il est dans nos déserts, mon enfant, une fleur
«Petite, sans orgueil, et sans vive couleur,
«Vers le nord, en tout temps, son calice s'incline.
«C'est une fleur que Dieu, dans sa bonté divine,
«Sème, de place en place, en ces prés étendus,
«Pour diriger les pas des voyageurs perdus.
«La foi dans notre coeur ressemble à cette plante.
«La fleur des passions est toujours plus troublante,
«Elle a plus de couleurs, plus de pompeux éclats,
«Mais soyons défiants, elle trompe nos pas,
«Et son baume suave est, hélas ! bien funeste.
«Seule ici-bas la foi, cette plante céleste,
«Est le guide éclairé de nos pas raffermis,
«Et puis ensuite elle orne, au ciel, nos fronts soumis.»
Ainsi venaient déjà les beaux jours de l'automne.
Ils passèrent pourtant ! Les fruits de leur couronne
Tombèrent un par un sur le guéret durci . . .
Gabriel ne vint pas !
L'hiver s'enfuit aussi,
Le printemps embaumé s'ouvrit comme une rose;
L'abeille butina la fleur à peine éclose;
Sur les feuilles des bois, dans le calme des airs,
L'oiseau bleu fit pleuvoir ses cris joyeux et clairs . . .
Gabriel ne vint pas!
Cependant, sur son aile
La brise de l'été portait une nouvelle
Plus douce que l'espoir et l'amoureux frisson,
Que le parfum des lis et le chant du pinson.
L'agréable rumeur, vague mais persistante,
Disait que Gabriel avait planté sa tente,
Avec d’autres chasseurs, depuis bientôt un an,
Près de la Saginaw, au fond du Michigan.
Et l'exilée alors, que la terre délaisse,
Compte encor sur le ciel. Et malgré sa faiblesse
Et tout ce qu'a d'amer une déception,
Elle fait ses adieux à l'humble mission.
Des guides s'en allaient vers la Nouvelle-France,
Aux grands lacs. Espérant la fin de sa souffrance,
Elle partit. Bien loin, dans l'immense désert,
Après avoir, hélas ! plus d'une fois souffert
D'une cruelle faim et d’une soif acerbe,
Après avoir couché sous l'étoile et sur l'herbe,
Elle atteignit des bois qui s'adossent au Nord
Et de la Saginaw put explorer le bord.
Un soir, elle aperçut, au fond d'une ravine,
La tente du chasseur . . . Elle était en ruine !
Sur les ailes du temps s'envolaient les saisons.
La pauvre Évangéline. aux lointains horizons,
Ne voyait pas encor le bonheur apparaître.
Un profond désespoir consumait tout son être.
Sous des cieux, tour à tour ou torrides ou froids,
Elle traîna sa peine ainsi, dans cent endroits.
Tantôt on la voyait, aux missions moraves,
Priant Dieu de briser ses terrestres entraves,
Sur un champ de bataille, aux malheureux blessés
Tantôt elle portait des secours empressés.
Elle entrait aujourd'hui dans une grande ville
Et demain se cachait dans un hameau tranquille,
Comme un pâle fantôme on la voyait venir,
Et souvent de sa fuite on n'avait souvenir.
Quand elle commença sa course longue et vaine,
Elle était jeune et belle, et son âme était pleine
De suaves espoirs, de tendres passions;
Sa course s'achevait dans les déceptions !
Elle avait bien vieilli : sa joue était fanée;
Sa beauté s'en allait. Chaque nouvelle année
Dérobait quelque charme à son regard serein,
Et creusait sur son front les rides du chagrin.
On découvrait déjà, sur sa tête flétrie,
Quelques cheveux d'argent, aube d'une autre vie,
Aurore dont l'éclat mystérieux et doux,
Nous dit qu'un nouveau jour va se lever pour nous,
Comme au premier rayon dont le ciel s'illumine,
Sous le voile des nuits, le matin se devine.
Pour en savoir plus sur l'Acadie et Evangéline (avec notamment quelques cartes géographiques anciennes de l'Acadie) :