samedi 30 août 2008

L'homme juste (Arthur Rimbaud)

La carte du comptoir des vers, dans le cadre de sa série sur la matière première du poème le pied, a enfin retrouvé un Arthur Rimbaud de derrière les fagots assez hermétique et glauque qui vient compléter Voyelles, Sensations, Ma Bohème, Chanson de la plus haute tour, le Dormeur du Val, Vénus Anadyomène, Mes petites amoureuses ...
Par contre, toujours aucun
Guillaume Apollinaire ( Pont Mirabeau, Nuit Rhénane, l'Adieu ...) à l'horizon.



Le Juste restait droit sur ses hanches solides :

Un rayon lui dorait l'épaule ; des sueurs

Me prirent : Tu veux voir rutiler les bolides ?

Et, debout, écouter bourdonner les flueurs

D'astres lactés, et les essaims d'astéroïdes ?

Par des farces de nuit ton front est épié,

Ô juste ! Il faut gagner un toit. Dis ta prière,

La bouche dans ton drap doucement expié ;

Et si quelque égaré choque ton ostiaire,

Dis : Frère, va plus loin, je suis estropié !

Et le juste restait debout, dans l'épouvante

Bleuâtre des gazons après le soleil mort :

Alors, mettrais-tu tes genouillères en vente,

Ô Vieillard ? Pèlerin sacré ! barde d'Armor !

Pleureur des Oliviers ! main que la pitié gante !

Barbe de la famille et poing de la cité,

Croyant très doux : ô coeur tombé dans les calices,

Majestés et vertus, amour et cécité,

Juste ! plus bête et plus dégoûtant que les lices !

Je suis celui qui souffre et qui s'est révolté !

Et ça me fait pleurer sur mon ventre, ô stupide,

Et bien rire, l'espoir fameux de ton pardon !

Je suis maudit, tu sais ! je suis soûl, fou, livide,

Ce que tu veux ! Mais va te coucher, voyons donc,

Juste ! je ne veux rien à ton cerveau torpide.

C'est toi le Juste, enfin, le Juste ! C'est assez !

C'est vrai que ta tendresse et ta raison sereines

Reniflent dans la nuit comme des cétacés,

Que tu te fais proscrire et dégoises des thrènes

Sur d'effroyables becs-de-cane fracassés !

Et c'est toi l'oeil de Dieu ! le lâche ! Quand les plantes

Froides des pieds divins passeraient sur mon cou,

Tu es lâche ! Ô ton front qui fourmille de lentes !

Socrates et Jésus, Saints et Justes, dégoût !

Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes !

J'avais crié cela sur la terre, et la nuit

Calme et blanche occupait les cieux pendant ma fièvre.

Je relevai mon front : le fantôme avait fui,

Emportant l'ironie atroce de ma lèvre ...

Vents nocturnes, venez au Maudit ! Parlez-lui,

Cependant que silencieux sous les pilastres

D'azur, allongeant les comètes et les noeuds

D'univers, remuement énorme sans désastres,

L'ordre, éternel veilleur, rame aux cieux lumineux

Et de sa drague en feu laisse filer les astres !

Ah ! qu'il s'en aille, lui, la gorge cravatée

De honte, ruminant toujours mon ennui, doux

Comme le sucre sur la denture gâtée.

Tel que la chienne après l'assaut des fiers toutous,

Léchant son flanc d'où pend une entraille emportée.

Qu'il dise charités crasseuses et progrès...

J'exècre tous ces yeux de Chinois à bedaines,

Puis qui chante : nana, comme un tas d'enfants près

De mourir, idiots doux aux chansons soudaines :

Ô Justes, nous chierons dans vos ventres de grès !