samedi 24 novembre 2007

Evangéline (Henry Wadsworth Longfellow) [huitième partie]

Evangéline est un très long et très épique poème de Henry Wadsworth Longfellow (plus de 3000 lignes et 20 000 mots) qui raconte la déportation des Acadiens.
Ce poème a eu un grand effet sur les cultures acadiennes et
canadiennes (d'après Wikipedia).
La traduction en
français est due à Pamphile Le May.
Poésie en vrac va publier petit à petit l'intégralité de ce poème incroyable.

Elle était au rouet, et lui, dans son fauteuil,
Quand un lourd bruit de pieds fit résonner le seuil.
Une main se posa sur la clenche de chêne,
Et la porte s'ouvrit. On arrivait sans gêne.
Benoît le savait bien, c'était le forgeron;
Les clous de ses souliers martelaient le perron.
De même Évangéline, au trouble de son âme
Où s'était allumée une suave flamme,
Devinait sûrement qui venait avec lui.

"Toujours le bienvenu, mais surtout aujourd'hui
"Dit aussitôt Benoît. Devant la cheminée
"Prends, continua-t-il, ta place accoutumée.

"Elle est vide, tu sais, lorsque tu n'es pas là.
"Prends ta pipe de plâtre et le pot à tabac,
"Au bout de la tablette où galope l'horloge,
"Car c'est dans la fumée, ou de pipe ou de forge,
'Qu'on voit avec plaisir se dessiner tes traits.
"Alors ton gai visage, et si rond et si frais,
"Brille comme la lune en ces légers nuages
"Qui s'élèvent, l'automne, au bord des marécages. "

Le vieillard souriait. Du foyer, sans façon,
Basile s'approcha, suivi de son garçon.
Il répondit gaîment:
"Mon cher Bellefontaine,
"Tu chantes et tu ris toujours. Chose certaine
"D'autres sont obsédés de noirs pressentiments,
"Et ne font que rêver malheurs et châtiments.
"Toi, tu parais heureux. Sur la route où tu passes
"S'il est un fer perdu, c'est toi qui le ramasses."

Alors Evangéline, avec un geste bon,
S'en vint lui présenter la pipe et le charbon.
Et lui, très lentement:
-"Je n'aime pas pour hôtes,
"Ces navires anglais mouillés près de nos côtes.
"Leurs énormes canons, qui sont braqués sur nous,
"Ne nous annoncent point les desseins le plus doux.
"Mais quels sont ces desseins? Hélas! on les ignore
"On sait bien qu'il faudra, quand la cloche sonore
'Appellera le peuple à l'église, demain,
"Entendre lire haut - puisse-t-il être humain !-
"Un mandat qui sans doute émane du roi George.
'Or, plus d'un paysan soupçonne un coupe-gorge;
"Tous sont fort alarmés et se montrent craintifs."

Le fermier répondit:
- "On ne sait les motifs,

"Mais doit-on soupçonner de lâches tentatives?. . .
"La pluie, en Angleterre, ou des chaleurs hâtives
"Ont peut-être détruit la moisson sur les champs;
"Et, pour donner du pain à leurs petits enfants,
"Du foin à leurs troupeaux, les grands propriétaires
"Viennent chercher les fruits de nos fertiles terres.

- "Au village, plus d'un qui n'est pas un poltron,
"Pense bien autrement, reprit le forgeron,
"En secouant la tête avec un air de doute.
Puis, poussant un soupir:
- "Bellefontaine, écoute,
"On n'a pas, chez l'Anglais, oublié Louisbourg,
"Pas plus que Port-Royal, pas plus que Beauséjour. . .
"Déjà des paysans, redoutant ces croisières,
"Ont fui vers les forêts, et là, sur les lisières,
"Ils attendent, prudents, avec anxiété,
"Cet ordre qui bientôt, doit être exécuté.
"Voilà qu'on nous a pris, pour combler nos alarmes.

"Tous nos outils de fer avec toutes nos armes;
"Seul le vieux forgeron a ses pesants marteaux,
"Et l'humble moissonneur, ses inutiles faux."
Un sourire sur la lèvre, et le regard oblique,
Le jovial vieillard à son ami réplique:

"Au milieu de nos champs et de nos gras troupeaux,
"Sans armes, nous vivons dans un profond repos.
"Nous sommes mieux encore par derrière nos digues,
'Que n'étaient autrefois nos ancêtres prodigues,
"Dans leurs murs qu'ébréchaient les canons ennemis.
"D'ailleurs, dans l'infortune il faut être soumis.
"Vais-je donc retenir, Basile, pour hôtesse,
"Ce soir, à mon foyer, la vilaine tristesse?
"C'est le contrat, ce soir, et qu'importe demain ?
"Les jeunes gens du bourg ont bâti, de leur main,

Tous l'estimaient, petits et grands. Il racontait
Pourquoi le loup-garou vers les bois remontait,
Et pourquoi les lutins chevauchaient dans la friche.
Et puis, il rappelait le sort du blanc Létiche,
Enfant mort sans baptême, esprit doux, soucieux,
Qui voltige toujours, cherchant toujours les cieux,
Et de l'enfant qui dort s'en vient baiser les lèvres.
Et puis qu'une araignée est un remède aux fièvres,
Quand on la porte au cou dans l'écale des noix.
Que la nuit de Noël, au bon temps d'autrefois,
La génisse et le boeuf causaient dans les étables.
Il leur disait aussi les vertus véritables
Que le peuple, partout simple autant que loyal,
Prétendait découvrir dans le fer à cheval,
Et dans le trèfle blanc à la quadruple feuille,
Et biens d'autres récits que le peuple recueille.


Pour en savoir plus sur l'Acadie et Evangéline (avec notamment quelques cartes géographiques anciennes de l'Acadie) :