dimanche 24 août 2008

Rentrée des moines (Emile Verhaeren)

Le comptoir des vers qui avait entamé ses vacances avec un petit Emile Verhaeren amorce aujourd'hui sa rentrée avec un poème de circonstance du même écrivain belge qui ne devait probablement pas rigoler tous les jours !
Malgré la saison estivale, la
carte du comptoir des vers est toujours en rupture d'Arthur Rimbaud , de Vénus Anadyomène, de Sensation et de voyelles ainsi que de Guillaume Apollinaire, de pont Mirabeau et de Nuit Rhénane. La logistique de Poésie en Vrac est vraiment en dessous de tout.


On dirait que le site entier sous un lissoir

Se lustre et dans les lacs voisins se réverbère,

C'est l'heure où la clarté du jour d'ombres s'obère,

Où le soleil descend les escaliers du soir.

Une étoile d'argent lointainement tremblante,

Lumière d'or dont on n'aperçoit le flambeau,

Se reflète, mobile et fixe, au fond de l'eau

Où le courant la lave, avec une onde lente.

A travers les champs verts s'en va se déroulant

La route dont l'averse a creusé les ornières,

Elle longe les noirs massifs des sapinières

Et monte au carrefour couper le pavé blanc.

Au loin scintille encore une lucarne ronde

Qui s'ouvre ainsi qu'un oeil dans un pignon rongé ;

Là, le dernier reflet du couchant s'est plongé

Comme, en un trou profond et ténébreux, la sonde.

Et rien ne s'entend plus dans ce mystique adieu,

Rien - le site vêtu d'une paix métallique

Semble enfermer en lui, comme une basilique,

La présence muette et nocturne de Dieu.

Alors les moines blancs rentrent aux monastères

Après secours portés aux malades des bourgs,

Aux laboureurs ployés sous le faix des labours

Aux gueux chrétiens qui vont mourir, aux grabataires,

A ceux qui crèvent seuls, mornes, sales, pouilleux,

Et que nul de regrets ni de pleurs n'accompagne

Et qu'on enterrera dans un coin de campagne,

Sans qu'on lave leur corps ni qu'on ferme leurs yeux,

Aux mendiants mordus de misères avides,

Qui, le ventre troué de faim, ne peuvent plus

Se béquiller là-bas vers les enclos feuillus

Et qui se noient, la nuit, dans les étangs livides.

Et tels les moines blancs traversent les champs noirs,

Faisant songer au temps des jeunesses bibliques

Où l'on voyait errer des géants angéliques,

En longs manteaux de lin, dans l'or pâli des soirs.