dimanche 25 novembre 2007

Evangeline (Henry Wadsworth Longfellow) [dixième partie]

Evangéline est un très long et très épique poème de Henry Wadsworth Longfellow (plus de 3000 lignes et 20 000 mots) qui raconte la déportation des Acadiens.
Ce poème a eu un grand effet sur les cultures acadiennes et
canadiennes (d'après Wikipedia).
La traduction en
français est due à Pamphile Le May.
Poésie en vrac va publier petit à petit l'intégralité de ce poème incroyable.

La lutte commença. Leurs anxieux regards
Voyaient avec plaisir les pions faire un siège,
Et les dames tomber dans un perfide piège.
Également adroits, ils s'amusaient beaucoup
D'une manoeuvre habile ou d'un malheureux coup.

Les fiancés, assis dans la fenêtre ouverte.
Écoutaient, sur la rive, expirer l'onde verte,
Murmuraient quelques mots, ou paraissaient rêver,
Pendant que devant eux la lune, à son lever,
Glissait un rayon rose en la pâleur des vagues,
Un rayon rose encore dans les bruines vagues
Qui flottaient mollement sur le gazon jauni.
Quelques étoiles d'or luirent dans l'infini,
Comme des fleurs de feu, des fleurs qui sont, sans doute,
Les "ne m'oubliez pas" de la céleste voûte.

Ainsi passa le soir, et s'apaisa l'effroi.
La cloche retentit dans son léger beffroi.
Lentement dans l'air calme elle sonna neuf heures;
C'était le couvre-feu; l'on fermait les demeures.
Alors chacun se lève et les adieux se font,
Et sous le toit bientôt le silence est profond.
Évangéline est seule, et bien close est la porte;
Mais dans l'enivrement du rêve qui l'emporte
Elle entend murmurer la voix du fiancé,
Et son coeur plein d'amour vers lui s'est élancé.

Les charbons du foyer furent mis sous la cendre,
Et plus sombre soudain la nuit parut descendre.
Le pas quelque peu lourd de l'honnête fermier
Fit résonner alors le solide escalier.
Et puis on entendit la jeune ménagère,
Car elle aussi montait. Dans sa marche légère,
Elle semblait glisser sur les degrés de bois.

Une douce lueur éclaira les parois,
Et dora tour à tour les barreaux de la rampe;
Ce n'était point alors sa radieuse lampe,
Mais c'était son regard qui versait la clarté.
Traversant le couloir, chaste dans sa fierté,
Elle entra dans sa chambre; une chambre modeste,
Un nid blanc, le plus beau de ce séjour agreste:
Rideau blanc à la vitre et rideau blanc
Sur le mur, une croix et le rameau béni.
On voyait cependant, en rang sur des tablettes,
Dans une armoire, au fond, maintes pièces complètes:
Des flanelles, des draps, tissus fins et parfaits
Que son habile main au métier avait faits,
Et qu'elle aurait pour dot. C'était un apanage
Qui, bien sûr, prouverait la femme de ménage
Mieux que les gras troupeaux et le grain des sillons.

Elle éteignit sa lampe. Aussitôt des rayons
Qui descendaient du ciel, suaves comme l'ambre,
Par la fenêtre close inondèrent la chambre;
Et son coeur, débordant de tendresse et d'espoir,
Au pouvoir merveilleux du bel astre du soir,
Obéit doucement comme l'onde et la nue.
Elle buvait alors une ivresse inconnue.

De son soulier léger sortit son beau pied blanc;
Ses cheveux dénoués, se moulant à son flanc,
Lui firent un long voile. Elle était vraiment belle.
Elle s'imagina qu'alors, sous la tonnelle,
Le jeune fiancé, plus troublé, plus aimant,
En silence épiait le fortuné moment
Où, devant les rideaux de la haute fenêtre,
Il verrait son image un instant apparaître.

Sa fidèle pensée allait toujours vers lui,
Et parfois cependant la tristesse et l'ennui
Jetaient l'ombre en son coeur.

Voilant la lune d'ambre,
Des nuages ainsi jetaient l'ombre en sa chambre.
Attendrie et rêveuse, à sa fenêtre alors
Elle vint s'accouder pour regarder dehors.
Des plis mystérieux d'un vagabond nuage,
La lune s'échappait, souriante et volage.
Une étoile aux cils d'or la suivait dans le ciel,
Comme, aux jours d'autrefois, le petit Ismael
Suivait Agar, sa mère, en sa lointaine marche,
Après qu'elle eût quitté le toit du patriarche.

La nuit s'enfuit. Le jour se leva calme et pur.
Grand-Pré s'enveloppait de soleil et d'azur;
Une rose buée entourait les collines;
Les ruisseaux babillaient et le Bassin de Mines,
Légèrement ridé par l’haleine du vent,
Agitait dans ses plis les lueurs du levant.
A l'ancre, près des bords, les barques aux flancs sombres
Berçaient avec fierté leurs gigantesques ombres.

De ses nombreuses mains le travail fécondant
Frappait aux portes d'or de l'aube. Cependant
Ouvriers et fermiers, en habits des dimanches,
Le rire épanoui sur leurs figures franches,
Arrivèrent bientôt des villages voisins.
Ici, quelques vieillards sur le bord des chemins
S'aidant de leurs bâtons venaient par petits groupes;
Là, les gars éveillés, en turbulentes troupes,
Passaient à travers champs, suivant, le long des clos
Le sillon, qu'avaient fait les pesants chariots,
Aux jours de la moisson, en roulant dans l'éteule.

A son foyer désert la femme restait seule.
Toute la matinée, inquiets ou bavards,
Des groupes empressés venant de toutes parts,
Arrivaient à la fois par la route commune.
Et les maisons semblaient des auberges. Chacune
Pouvait voir, en effet, des hommes bons et francs
Assis devant sa porte, au soleil, sur des bancs.
Car aux bourgs on chômait comme au jour d'une fête.

Benoît n'attendait rien que de juste et d'honnête,
Et chez lui plus qu'ailleurs s'exhalait la gaieté,
On voyait en entrant s'enfuir l'anxiété.
Avec un air modeste et des grâces naïves,
La jeune Évangéline accueillait les convives.
Elle avait, à cette heure, à leurs yeux plus d'attrait
Que le cidre mousseux que sa main leur offrait.

On fit dans le verger les chastes fiançailles.
Le soleil était chaud comme au temps des semailles;
De l'odeur des fruits mûrs l'air était parfumé.
Le hameau s'envirait du calme accoutumé.

Pour en savoir plus sur l'Acadie et Evangéline (avec notamment quelques cartes géographiques anciennes de l'Acadie) :