lundi 21 juillet 2008

Complainte sur la mort du feu Roy (Jean Bertaut)

L'été rend l'approvisionnement du comptoir des vers difficile.
La
carte - toujours en manque d'Arthur Rimbaud , de Vénus Anadyomène, de Sensations et de voyelles ainsi que de Guillaume Apollinaire, de pont Mirabeau et de Nuit Rhénane - propose l'oeuvre sinistre d'un illustre inconnu du seizième siècle qui de surcroît écrit dans une langue pratiquement incompréhensible !



Helas, il me souvient que quand son pasle corps

Fut mis à reposer en la couche des morts

J'entray dedans la chambre où le plomb qui l'enserre

Gisoit sans nulle pompe estendu contre terre,

Pendant que l'artizan à cet oeuvre empesché,

De maint ais resonnant l'un à l'autre attaché,

Formoit la triste chambre où la fatale marque

Des fourriers de la mort logeoit ce grand monarque.

Et lors ramentevant que celuy dont les os

Dormoient entre les vers dedans ce plomb enclos,

Naguere estoit au monde et mon Prince et mon maistre,

Celuy d'où tout mon heur se promettoit de naistre,

Et de qui le trespas me venoit de ravir

L'espoir de tout le bien qu'à le suivre et servir

J'avoy peu meriter d'un coeur si debonnaire,

D'un tel coup de douleur dedans l'aine frappé

Par le triste penser qui m'avoit occupé,

Que presque evanoüy je tombay sur la place,

En paleur une pierre, en froideur de la glace,

Et tel qu'aux yeux humains se feroit admirer

Un marbre qu'on oirroit gemir et souspirer.

Dieu ! qu'il roula de pleurs sur mon visage blesme

Quand apres ce transport je revins à moy-mesme,

Et quand par les ruisseaux que mon oeil espandit

Ce glaçon de tristesse en larmes se fondit !

Long temps je ressemblay ceste Nymphe affligée

Qui fut par trop pleurer en fontaine changée :

Puis commençant l'humeur de manquer à mon oeil,

Tourné vers l'artizan ouvrier de ce cercueil :

Ô toy (lui dy-je alors d'une voix triste et basse)

Qui de la main celeste as receu ceste grace

D'enfermer au cercueil les os d'un si grand Roy,

Pour Dieu, ne vueille point envier à ma foy

L'honneur de t'assister en ce piteux office

Que luy rend maintenant ton fidelle service.

Permets moy de tenir le sapin que tu couds,

Que j'en touche les ais, que j'en touche les clouds :

Que ma tremblante main un à un te les donne,

Et que de ce devoir en pleurant je couronne

Les services passez qu'à luy seul j'ay rendus,

Et qu'helas par sa mort pour jamais j'ay perdus.

Je l'ay servy treize ans, dont mon attente morte,

Apres tant d'espérance, autre fruit ne rapporte

Que ces cuisans souspirs, que cet honneur amer

De pouvoir maintenant au cercueil l'enfermer :

Et si, j'estimeray la fatale inclemence

Ne m'avoir point du tout laissé sans recompense

M'accordant ceste grace, ains beniray mon sort

De l'avoir peu servir encor apres sa mort ...