vendredi 21 novembre 2008

Prologue (Petrus Borel)

Le comptoir des vers et sa carte continuent la pause dans leur brève et récente série sur Louis Aragon (Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Que serais-je sans toi ?, J'arrive où je suis étranger), avec un autre poème sur les chats pas spécielement dans la même lignée que le petit chat d'Edmond Rostand puisque l'illustre Petrus Borel y évoque les chats-huants.

Les félins obligent la carte du comptoir des vers à remballer pour le moment le Guillaume Apollinaire (le Pont Mirabeau, Nuit Rhénane, l'Adieu, l'Emigrant de Landor Road, Ô naturel désir, Nocturne, A l'Italie, Acousmate, Marizibill, La Victoire, Le Chef de Section, Chant de l'Horizon en Champagne, Le Vigneron Champenois, Dans l'Abri-caverne, Annie, A la Santé ...) et l'Arthur Rimbaud (Voyelles, Sensations, Ma Bohème, Chanson de la plus haute tour, le Dormeur du Val, le Bateau Ivre, Vénus Anadyomène, Petites amoureuses ou l'Orgie parisienne).


Voici, je m'en vais faire une chose nouvelle qui viendra en avant

et les bêtes des champs, les dragons et les chats-huants me glorifieront.

Quand ton Petrus ou ton Pierre

N'avait pas même une pierre

Pour se poser, l'oeil tari,

Un clou sur un mur avare

Pour suspendre sa guitare,

Tu me donnas un abri.

Tu me dis : viens, mon rhapsode,

Viens chez moi finir ton ode ;

Car ton ciel n'est pas d'azur,

Ainsi que le ciel d'Homère,

Ou du provençal trouvère ;

L'air est froid, le sol est dur.

Paris n'a point de bocage,

Viens donc, je t'ouvre ma cage,

Où, pauvre, gaiement je vis ;

Viens, l'amitié nous rassemble,

Nous partagerons, ensemble,

Quelques grains de chenevis.

Tout bas, mon âme honteuse

Bénissait ta voix flatteuse

Qui caressait son malheur ;

Car toi seul, au sort austère

Qui m'accablait solitaire,

Léon, tu donnas un pleur.

Quoi ! ma franchise te blesse ?

Voudrais-tu que, par faiblesse,

On voilât sa pauvreté ?

Non, non, nouveau Malfilâtre,

Je veux, au siècle parâtre,

Étaler ma nudité !

Je le veux, afin qu'on sache

Que je ne suis point un lâche,

Car j'ai deux parts de douleur

À ce banquet de la terre,

Car, bien jeune, la misère

N'a pu briser ma verdeur.

Je le veux, afin qu'on sache

Que je n'ai que ma moustache,

Ma chanson et puis mon coeur,

Qui se rit de la détresse,

Et que mon âme maîtresse

Contre tout surgit vainqueur.

Je le veux, afin qu'on sache,

Que, sans toge et sans rondache,

Ni chancelier, ni baron,

Je ne suis point gentilhomme,

Ni commis à maigre somme

Parodiant lord Byron.

À la cour, dans ses orgies,

Je n'ai point fait d'élégies,

Point d'hymne à la déité ;

Sur le flanc d'une duchesse,

Barbotant dans la richesse

De lai sur ma pauvreté.