jeudi 18 décembre 2008

Aux trois aimés (Marceline Desbordes-Valmore)

La carte du comptoir des vers insiste lourdement dans la saison des voeux avec une oeuvre maternelle de Marceline Desbordes-Valmore, l'auteur indépassable de la maison de ma mère.

Ces voeux de Marceline forcent la carte du comptoir poétique, sans même un commentaire, à remiser au cellier le Heredia (les Conquérants), le Du Bellay (Heureux qui comme Ulysse), l'Aragon (Elsa, L'étrangère, Chambres d'un moment, Chambre garnie, Charlot mystique, Un jour un jour, La rose et le réséda, Les lilas et les roses, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Santa Espina, Que serais-je sans toi ?, La belle italienne, Nous dormirons ensemble, Les mains d'Elsa, Elsa au miroir, J'arrive où je suis étranger, L'affiche rouge, Les yeux d'Elsa), l'Arthur Rimbaud (Voyelles, Sensations, le Bateau Ivre, Ma Bohème, Vénus Anadyomène, le Dormeur du Val, Chanson de la plus haute tour, Petites amoureuses ou l'Orgie parisienne), le Guillaume Apollinaire (le Pont Mirabeau, Nuit Rhénane, l'Emigrant de Landor Road, l'Adieu, Marizibill, La Victoire, Le Chef de Section, Nocturne, A l'Italie, Acousmate, Ô naturel désir, Chant de l'Horizon en Champagne, Le Vigneron Champenois, Dans l'Abri-caverne, Annie, A la Santé ...) et l'Edmond Rostand (La tirade des nez de Cyrano de Bergerac, Le Petit Chat).


De vous gronder je n'ai plus le courage,

Enfants ! Ma voix s'enferme trop souvent.

Vous grandissez, impatients d'orage,

Votre aile s'ouvre, émue au moindre vent.

Affermissez votre raison qui chante ;

Veillez sur vous comme a fait mon amour ;

On peut gronder sans être bien méchante :

Embrassez-moi, grondez à votre tour.

Vous n'êtes plus la sauvage couvée,

Assaillant l'air d'un tumulte innocent ;

Tribu sans art, au désert préservée,

Bornant vos voeux à mon zèle incessant :

L'esprit vous gagne, ô ma rêveuse école,

Quand il fermente, il étourdit l'amour.

Vous adorez le droit de la parole :

Anges, parlez, grondez à votre tour.

Je vous fis trois pour former une digue

Contre les flots qui vont vous assaillir :

L'un vigilant, l'un rêveur, l'un prodigue,

Croissez unis pour ne jamais faillir,

Mes trois échos ! L'un à l'autre, à l'oreille,

Redites-vous les cris de mon amour ;

Si l'un s'endort, que l'autre le réveille,

Embrassez-le, grondez à votre tour !

Je demandais trop à vos jeunes âmes ;

Tant de soleil éblouit le printemps !

Les fleurs, les fruits, l'ombre mêlée aux flammes,

La raison mûre et les joyeux instants,

Je voulais tout, impatiente mère,

Le ciel en bas, rêve de tout amour ;

Et tout amour couve une larme amère :

Punissez-moi, grondez à votre tour.

Toi, sur qui Dieu jeta le droit d'aînesse,

Dis aux petits que les étés sont courts,

Sous le manteau flottant de la jeunesse,

D'une lisière enferme le secours !

Parlez de moi, surtout dans la souffrance ;

Où que je sois, évoquez mon amour :

Je reviendrai vous parler d'espérance,

Mais gronder ... non : grondez à votre tour !