samedi 22 novembre 2008

Tirade des nez - Cyrano de Bergerac (Edmond Rostand)

Le comptoir des vers et sa carte proposent en plat de résistance, en ce samedi tristounet, le morceau de bravoure de Cyrano de Bergerac : la tirade des nez.
Edmond Rostand avait un talent multiple : comparez cette tirade de Cyrano au Petit Chat ou aux parenthèses !


La carte du comptoir des vers, pour cause de Cyrano, d'appendice nasal, de cap, de péninsule,
sans aucun commentaire, propose d'oublier ce soir sa sélection habituelle :

- D'autres Edmond Rostand : sept moyens de monter dans la Lune (Cyrano de Bergerac), petit chat, l'hymne au soleil, rois mages, nénuphars

- Guillaume Apollinaire : le Pont Mirabeau, nuit rhénane, à l'Italie, Marizibill, l'émigrant de Landor Road, dans l'abri-caverne, ô naturel désir, acousmate, Annie, l'adieu, la Victoire, le chef de section, nocturne, le vigneron champenois, chant de l'horizon en Champagne, à la Santé

-
Arthur Rimbaud : le bateau ivre, voyelles, le dormeur du val, ma Bohème, sensations, Vénus Anadyomène, petites amoureuses, chanson de la plus haute tour, l'orgie parisienne

- Louis Aragon : l'étrangère, que serais-je sans toi ?, est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Elsa, chambres d'un moment, chambre garnie, les mains d'Elsa, un jour un jour, Santa Espina, la rose et le réséda, Elsa au miroir, Charlot mystique, nous dormirons ensemble, l'affiche rouge, la belle italienne, j'arrive où je suis étranger, les yeux d'Elsa

-
Charles Baudelaire : l'albatros, les bijoux, à celle qui est trop gaie, je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre (prélude à Sarah), toute entière, le chat, confession, "j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans", quand le ciel bas et lours pèse comme un couvercle, les ténèbres, le soleil, correspondances, une mendiante rousse, une martyre, à une dame créole, le chat

- José Maria de Heredia : les conquérants, le voeu, le tepidarium, soir de bataille, le vitrail, la belle viole, l'esclave, fleurs de feu, Tranquillus

- Joachim du Bellay : heureux qui comme Ulysse, au fleuve de Loire


Ah ! Non ! C'est un peu court, jeune homme !

On pouvait dire ... Oh ! Dieu ! ... Bien des choses en somme.

En variant le ton, par exemple, tenez :

Agressif : "Moi, Monsieur, si j'avais un tel nez,

Il faudrait sur-le-
champ que je me l'amputasse !"

Amical : "Mais il doit tremper dans votre tasse !

Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap !"

Descriptif : "C'est un roc ! . .. Cest un
pic ! . . . C'est un cap !

Que dis-je, c'est un
cap ? ... C'est une péninsule !"

Curieux : "De quoi sert cette oblongue capsule ?

D'écritoire, Monsieur, ou de boite à ciseaux ?"

Gracieux : "Aimez-vous à ce point les oiseaux

Que paternellement vous vous préoccupâtes

De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ?"

Truculent : "Ça, Monsieur, lorsque vous pétunez,

La
vapeur du tabac vous sort-elle du nez

Sans qu'un voisin ne crie au feu de
cheminée ?"

Prévenant : "Gardez-vous, votre tête entrainée

Par ce poids, de tomber en avant sur le sol !"

Tendre : "Faites-lui faire un petit parasol

De peur que sa couleur au soleil ne se fane !"

Pédant : "L'animal seul, Monsieur, qu'Aristophane

Appelle Hippocampelephantocamelos

Dût avoir sous le front tant de chair sur tant d'os !"

Cavalier : "Quoi,
l'ami, ce croc est à la mode ?

Pour pendre son chapeau, c'est vraiment très commode !" ,

Emphatique : "Aucun
vent ne peut, nez magistral,

T'enrhumer tout entier, excepté le mistral !"

Dramatique : "C'est la
Mer Rouge quand il saigne !"

Admiratif: "Pour un
parfumeur, quelle enseigne !"

Lyrique : "Est-ce une conque, êtes-vous un triton ?"

Naïf : "Ce
monument, quand le visite-t-on ?"

Respectueux : "Souffrez, Monsieur, qu'on vous salue,

C'est là ce qui s'appelle avoir pignon sur
rue !"

Campagnard : "He, arde ! C'est-y un nez ? Nanain !

C'est queuqu'navet géant ou ben queuqu'melon nain !"

Militaire : "Pointez contre cavalerie !"

Pratique : "Voulez-vous le mettre en loterie ?

Assurément, Monsieur, ce sera le gros lot !"

Enfin, parodiant Pyrame en un sanglot :

"Le voilà donc ce nez qui des traits de son maître

A détruit l'harmonie ! Il en rougit, le traître !"

Voilà ce qu'à peu près, mon cher, vous m'auriez dit

Si vous aviez un peu
de lettres et d'esprit :

Mais
d'esprit, ô le plus lamentable des êtres,

Vous n'en eûtes jamais un atome, et de
lettres

Vous n'avez que les trois qui forment le
mot
: sot !

Eussiez-vous eu, d'ailleurs, l'invention qu'il faut

Pour pouvoir là, devant ces nobles galeries,

Me servir toutes ces folles plaisanteries,

Que vous n'en eussiez pas articulé le quart

De la moitié du commencement d'une, car

Je me les sers moi-même, avec assez de verve

Mais je ne permets pas qu'un autre me les serve.