mardi 16 décembre 2008

Le somnambule (Alfred de Vigny)

La carte du comptoir des vers persiste dans la saison des voeux avec cette livraison mythologique d'Alfred de Vigny.

Ces voeux de Vigny amènent la carte du comptoir poétique, sans même un commentaire, à repousser dans l'arrière-salle le Heredia (les Conquérants), le Du Bellay (Heureux qui comme Ulysse), l'Aragon (Elsa, L'étrangère, Chambres d'un moment, Chambre garnie, Charlot mystique, Un jour un jour, La rose et le réséda, Les lilas et les roses, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Santa Espina, Que serais-je sans toi ?, La belle italienne, Nous dormirons ensemble, Les mains d'Elsa, Elsa au miroir, J'arrive où je suis étranger, L'affiche rouge, Les yeux d'Elsa), l'
Arthur Rimbaud (Voyelles, le Bateau Ivre, Sensations, Ma Bohème, Vénus Anadyomène, Chanson de la plus haute tour, le Dormeur du Val, Petites amoureuses ou l'Orgie parisienne), l'Edmond Rostand (La tirade des nez de Cyrano de Bergerac, Le Petit Chat) et le Guillaume Apollinaire (le Pont Mirabeau, Nuit Rhénane, l'Adieu, l'Emigrant de Landor Road, Marizibill, La Victoire, Le Chef de Section, Ô naturel désir, Nocturne, A l'Italie, Acousmate, Chant de l'Horizon en Champagne, Le Vigneron Champenois, Dans l'Abri-caverne, Annie, A la Santé ...).


Déjà, mon jeune époux ? Quoi ! l'aube paraît-elle ?

Non la lumière, au fond de l'albâtre, étincelle

Blanche et pure, et suspend son jour mystérieux ;

La nuit règne profonde et noire dans les cieux,

Vois, la clepsydre encor n'a pas versé trois heures :

Dors près de ta Néra, sous nos chastes demeures,

Viens, dors près de mon sein. Mais lui, furtif et lent,

Descend du lit d'ivoire et d'or étincelant.

Il va, d'un pied prudent, chercher la lampe errante,

Dont il garde les feux dans sa main transparente,

Son corps blanc est sans voile, il marche pas à pas,

L'oeil ouvert, immobile, et murmurant tout bas :

Je la vois, la parjure ! ... interrompez vos fêtes,

Aux Mânes un autel ... des cyprès sur vos têtes ...

Ouvrez, ouvrez la tombe ... Allons ... Qui descendra ?

Cependant, à genoux et tremblante, Néra,

Ses blonds cheveux épars, se traîne. Arrête, écoute,

Arrête, ami; les Dieux te poursuivent, sans doute ;

Au nom de la pitié, tourne tes yeux sur moi ;

Vois, c'est moi, ton épouse en larmes devant toi ;

Mais tu fuis ; par tes cris ma voix est étouffée !

Phoebé, pardonne-lui ; pardonne-lui, Morphée.

J'irai ... je frapperai ... le glaive est dans ma main :

Tous les deux ... Pollion .., c'est un jeune Romain ...

Il ne résiste pas. Dieux ! Qu'il est faible encore !

D'un blond duvet sa joue à peine se décore,

L'amour a couronné ce luxe éblouissant ...

Ecartez ce manteau, je ne vois pas le sang.

Mais elle : Ô mon amant ! Compagnon de ma vie !

Des foyers maternels si ton char m'a ravie,

Tremblante, mais complice, et si nos voeux sacrés

Ont fait luire à l'Hymen des feux prématurés,

Par cette sainte amour nouvellement jurée,

Par l'antique Vesta, par l'immortelle Rhée

Dont j'embrasse l'autel, jamais nulle autre ardeur

De mes pieux serments n'altéra la candeur :

Non, jamais Pénélope, à l'aiguille pudique,

Plus chaste n'a vécu sous la foi domestique.

Pollion, quel est-il ? Je tiens tes longs cheveux ...

Je dédaigne tes pleurs et tes tardifs aveux,

Corinne, tu mourras ... Ce n'est pas moi ! Ma mère,

Il ne m'a point aimée ! Oh ! ta sainte colère

A comme un Dieu vengeur poursuivi nos amours !

Que n'ai-je cru ma mère et ses prudents discours ?

Je ne détourne plus ta sacrilège épée ;

Tiens, frappe, j'ai vécu puisque tu m'as trompée ...

Ah ! Cruel ! ... Mon sang coule ! ... Ah ! Reçois mes adieux,

Puisses-tu ne jamais t'éveiller ! Justes Dieux !