vendredi 19 décembre 2008

La jeune captive (André Chénier)

La carte du comptoir des vers continue dans le voeu avec un opus alambiqué et captivant d'André Chénier.

Ces voeux de Dédé conduisent la carte du comptoir poétique, sans le moindre commentaire, à reléguer Heredia (les Conquérants), Du Bellay (Heureux qui comme Ulysse), Aragon (Elsa, L'étrangère, Chambre garnie, Chambres d'un moment, Charlot mystique, La rose et le réséda, Un jour un jour, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Santa Espina, La belle italienne, Que serais-je sans toi ?, Nous dormirons ensemble, Les mains d'Elsa, Elsa au miroir, J'arrive où je suis étranger, L'affiche rouge, Les yeux d'Elsa), Arthur Rimbaud (le Dormeur du Val, Voyelles, Sensations, le Bateau Ivre, Ma Bohème, Vénus Anadyomène, Chanson de la plus haute tour, Petites amoureuses ou l'Orgie parisienne), Guillaume Apollinaire (le Pont Mirabeau, A l'Italie, Nuit Rhénane, l'Emigrant de Landor Road, l'Adieu, Marizibill, La Victoire, Le Chef de Section, Nocturne, Acousmate, Chant de l'Horizon en Champagne, Le Vigneron Champenois, Ô naturel désir, Dans l'Abri-caverne, Annie, A la Santé ...) et Edmond Rostand (La tirade des nez de Cyrano de Bergerac, Le Petit Chat).


L'épi naissant mûrit de la faux respecté,

Sans crainte du pressoir, le pampre tout l'été

Boit les doux présents de l'aurore,

Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,

Quoi que l'heure présente ait de trouble et d'ennui,

Je ne veux point mourir encore.

Qu'un stoïque aux yeux secs vole embrasser la mort,

Moi je pleure et j'espère ; au noir souffle du Nord

Je plie et relève ma tête.

S'il est des jours amers, il en est de si doux !

Hélas ! Quel miel jamais n'a laissé de dégoûts ?

Quelle mer n'a point de tempête ?

L'illusion féconde habite dans mon sein.

D'une prison sur moi les murs pèsent en vain.

J'ai les ailes de l'espérance :

Échappée aux réseaux de l'oiseleur cruel,

Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel

Philomène chante et s'élance.

Est-ce à moi de mourir ? Tranquille je m'endors,

Et tranquille je veille ; et ma veille aux remords

Ni mon sommeil ne sont en proie.

Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux ;

Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux

Ranime presque de la joie.

Mon beau voyage encore est si loin de sa fin !

Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin

J'ai passé les premiers à peine,

Au banquet de la vie à peine commencé,

Un instant seulement mes lèvres ont pressé

La coupe en mes mains encor pleine.

Je ne suis qu'au printemps, je veux voir la moisson ;

Et comme le soleil, de saison en saison,

Je veux achever mon année.

Brillante sur ma tige et l'honneur du jardin,

Je n'ai vu luire encor que les feux du matin,

Je veux achever ma journée.

Ô mort ! Tu peux attendre ; éloigne, éloigne-toi,

Va consoler les coeurs que la honte, l'effroi,

Le pâle désespoir dévore.

Pour moi Palès encore a des asiles verts,

Les Amours des baisers, les Muses des concerts.

Je ne veux point mourir encore.

Ainsi, triste et captif, ma lyre toutefois

S'éveillait, écoutant ces plaintes, cette voix,

Ces voeux d'une jeune captive,

Et secouant le faix de mes jours languissants,

Aux douces lois des vers je pliais les accents

De sa bouche aimable et naïve.

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,

Feront à quelque amant des loisirs studieux

Chercher quelle fut cette belle :

La grâce décorait son front et ses discours,

Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours

Ceux qui les passeront près d'elle.