mardi 21 octobre 2008

Vieille ferme à la Toussaint (Emile Verhaeren)

La carte du comptoir des vers se tourne délibérement vers un menu d'automne et propose donc des opus de Toussaint.
Après les pensées des morts du fringuant Lamartine, voici un petit Mimile Verhaeren saisonnalisé qui complète la rentrée des moines, les soirs d'été, les pêcheurs à cheval, la grande chambre, la ville et l'étal.

Aussi, momentanément, sur le comptoir des vers, plus de Gérard de Nerval (Antéros, Madame Aguado, Résignation, Louise d'or reine, Gaieté, Fantaisie, J.Y. Colonna, ou Pensée de Byron), ni d'Arthur Rimbaud (Voyelles, Sensations, Ma Bohème, Chanson de la plus haute tour, le Dormeur du Val, le Bateau Ivre, Vénus Anadyomène, Petites amoureuses ou l'Orgie parisienne) et encore moins de Guillaume Apollinaire (le Pont Mirabeau, Nuit Rhénane, l'Adieu ...).


La ferme aux longs murs blancs, sous les grands arbres jaunes,

Regarde, avec les yeux de ses carreaux éteints,

Tomber très lentement, en ce jour de Toussaint,

Les feuillages fanés des frênes et des aunes.

Elle songe et resonge à ceux qui sont ailleurs,

Et qui, de père en fils, longuement s'éreintèrent,

Du pied bêchant le sol, des mains fouillant la terre,

A secouer la plaine à grands coups de labeur.

Puis elle songe encor qu'elle est finie et seule,

Et que ses murs épais et lourds, mais crevassés,

Laissent filtrer la pluie et les brouillards tassés,

Même jusqu'au foyer où s'abrite l'aïeule.

Elle regarde aux horizons bouder les bourgs,

Des nuages compacts plombent le ciel de Flandres,

Et tristement, et lourdement se font entendre,

Là-bas, des bonds de glas sautant de tour en tour.

Et quand la chute en or des feuillage effleure,

Larmes ! ses murs flétris et ses pignons usés,

La ferme croit sentir ses lointains trépassés

Qui doucement se rapprochent d'elle, à cette heure,

Et pleurent.