Au fleuve de Loire (Joachim du Bellay)
La carte du comptoir des vers entreprend aujourd'hui un opus régionaliste de Joachim du Bellay dans la même veine que Heureux qui comme Ulysse.
termine, pour l'instant, l'exploration du talent éclectique d': après l'indépassable Cyrano de Bergerac, sa picaresque et ses non moins épiques ; après ses poèmes mièvres le , les nénuphars et ; après les voici un autre poème déjanté cette fois typographique et mémoriel.
Cette livraison oblige la carte du comptoir des poésies, sans commentaire additionnel, à mettre entre parenthèses Heredia (les Conquérants, le voeu, le vitrail), Edmond Rostand (tirade des nez de Cyrano de Bergerac, sept moyens de monter dans la Lune, Rois Mages, l'hymne au soleil, Petit Chat, nénuphars), Aragon (Elsa, Chambres d'un moment, Chambre garnie, L'étrangère, Charlot mystique, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?,Santa Espina, Un jour un jour, Que serais-je sans toi ?, La rose et le réséda, La belle italienne, Nous dormirons ensemble, Les mains d'Elsa, Elsa au miroir, J'arrive où je suis étranger, L'affiche rouge, Les yeux d'Elsa), Arthur Rimbaud (le Bateau Ivre, Ma Bohème, le Dormeur du Val, Voyelles, Chanson de la plus haute tour, Vénus Anadyomène, Sensations, Petites amoureuses ou l'Orgie parisienne) et Guillaume Apollinaire (le Pont Mirabeau, Ô naturel désir, Le Chef de Section, l'Emigrant de Landor Road, Marizibill, A l'Italie, Nuit Rhénane, La Victoire, Annie, l'Adieu, Nocturne, Dans l'Abri-caverne, Chant de l'Horizon en Champagne, Acousmate, Le Vigneron Champenois, A la Santé ...).
Ô de qui la vive course
Prend sa bienheureuse source,
D'une argentine fontaine,
Qui d'une fuite lointaine,
Te rends au sein fluctueux
De l'Océan monstrueux,
Loire, hausse ton chef ores
Bien haut, et bien haut encores,
Et jette ton oeil divin
Sur ce pays Angevin,
Le plus heureux et fertile,
Qu'autre où ton onde distille.
Bien d'autres Dieux que toi, Père,
Daignent aimer ce repaire,
A qui le Ciel fut donneur
De toute grâce et bonheur.
Cérès, lorsque vagabonde
Allait quérant par le monde
Sa fille, dont possesseur
Fut l'infernal ravisseur,
De ses pas sacrés toucha
Cette terre, et se coucha
Lasse sur ton vert rivage,
Qui lui donna doux breuvage.
Et celui-là, qui pour mère
Eut la cuisse de son père,
Le Dieu des Indes vainqueur
Arrosa de sa liqueur
Les monts, les vaux et campagnes
De ce terroir que tu baignes.
Regarde, mon Fleuve, aussi
Dedans ces forêts ici,
Qui leurs chevelures vives
Haussent autour de tes rives,
Les faunes aux pieds soudains,
Qui après biches et daims,
Et cerfs aux têtes ramées
Ont leurs forces animées.
Regarde tes Nymphes belles
A ces Demi-dieux rebelles,
Qui à grand'course les suivent,
Et si près d'elles arrivent,
Qu'elles sentent bien souvent
De leurs haleines le vent.
Je vois déjà hors d'haleine
Les pauvrettes, qui à peine
Pourront atteindre ton cours,
Si tu ne leur fais secours.
Combien pour les secourir
De fois t'a-t-on vu courir
Tout furieux en la plaine?
Trompant l'espoir et la peine
De l'avare laboureur,
Hélas! qui n'eut point d'horreur
Blesser du soc sacrilège
De tes Nymphes le collège,
Collège qui se récrée
Dessus ta rive sacrée.
Qui voudra donc loue et chante
Tout ce dont l'Inde se vante,
Sicile la fabuleuse,
Ou bien l'Arabie Heureuse.
Quant à moi, tant que ma Lyre
Voudra les chansons élire
Que je lui commanderai,
Mon Anjou je chanterai.
Ô mon Fleuve paternel,
Quand le dormir éternel
Fera tomber à l'envers
Celui qui chante ces vers,
Et que par les bras amis
Mon corps bien près sera mis
De quelque fontaine vive,
Non guère loin de ta rive,
Au moins sur ma froide cendre
Fais quelques larmes descendre,
Et sonne mon bruit fameux
A ton rivage écumeux.
N'oublie le nom de celle
Qui toutes beautés excelle,
Et ce qu'ai pour elle aussi
Chanté sur ce bord ici.