samedi 17 janvier 2009

Au fleuve de Loire (Joachim du Bellay)

La carte du comptoir des vers entreprend aujourd'hui un opus régionaliste de Joachim du Bellay dans la même veine que Heureux qui comme Ulysse.
termine, pour l'instant, l'exploration du talent éclectique d': après l'indépassable Cyrano de Bergerac, sa picaresque et ses non moins épiques ; après ses poèmes mièvres le , les nénuphars et ; après les voici un autre poème déjanté cette fois typographique et mémoriel.

Cette livraison oblige la
carte du comptoir des poésies, sans commentaire additionnel, à mettre entre parenthèses Heredia (les Conquérants, le voeu, le vitrail), Edmond Rostand (tirade des nez de Cyrano de Bergerac, sept moyens de monter dans la Lune, Rois Mages, l'hymne au soleil, Petit Chat, nénuphars), Aragon (Elsa, Chambres d'un moment, Chambre garnie, L'étrangère, Charlot mystique, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?,Santa Espina, Un jour un jour, Que serais-je sans toi ?, La rose et le réséda, La belle italienne, Nous dormirons ensemble, Les mains d'Elsa, Elsa au miroir, J'arrive où je suis étranger, L'affiche rouge, Les yeux d'Elsa), Arthur Rimbaud (le Bateau Ivre, Ma Bohème, le Dormeur du Val, Voyelles, Chanson de la plus haute tour, Vénus Anadyomène, Sensations, Petites amoureuses ou l'Orgie parisienne) et Guillaume Apollinaire (le Pont Mirabeau, Ô naturel désir, Le Chef de Section, l'Emigrant de Landor Road, Marizibill, A l'Italie, Nuit Rhénane, La Victoire, Annie, l'Adieu, Nocturne, Dans l'Abri-caverne, Chant de l'Horizon en Champagne, Acousmate, Le Vigneron Champenois, A la Santé ...).


Ô de qui la vive course

Prend sa bienheureuse
source,

D'une
argentine fontaine,

Qui d'une fuite lointaine,

Te rends au sein fluctueux

De l'Océan monstrueux,

Loire, hausse ton chef ores

Bien haut, et bien haut encores,

Et jette ton oeil divin

Sur ce
pays Angevin,

Le plus heureux et fertile,

Qu'autre où ton onde distille.

Bien d'autres Dieux que toi, Père,

Daignent aimer ce repaire,

A qui le
Ciel fut donneur

De toute grâce et bonheur.

Cérès, lorsque vagabonde

Allait quérant par le
monde

Sa fille, dont possesseur

Fut l'infernal ravisseur,

De ses pas sacrés toucha

Cette terre, et se coucha

Lasse sur
ton vert rivage,

Qui lui donna doux breuvage.

Et celui-là, qui pour mère

Eut la cuisse de son père,

Le Dieu des Indes vainqueur

Arrosa de sa liqueur

Les monts, les vaux et campagnes

De ce terroir que tu baignes.

Regarde, mon Fleuve, aussi

Dedans ces forêts ici,

Qui leurs chevelures vives

Haussent autour de tes rives,

Les faunes aux pieds soudains,

Qui après biches et daims,

Et cerfs aux têtes ramées

Ont leurs forces animées.

Regarde tes Nymphes belles

A ces Demi-dieux rebelles,

Qui à grand'course les suivent,

Et si près d'elles arrivent,

Qu'elles sentent bien souvent

De leurs haleines le vent.

Je vois déjà hors d'haleine

Les pauvrettes, qui à peine

Pourront atteindre ton cours,

Si tu ne leur fais secours.

Combien pour les secourir

De fois t'a-t-on vu courir

Tout furieux en la plaine?

Trompant l'espoir et la peine

De l'avare laboureur,

Hélas! qui n'eut point d'horreur

Blesser du soc sacrilège

De tes Nymphes le collège,

Collège qui se récrée

Dessus ta rive sacrée.

Qui voudra donc loue et chante

Tout ce dont l'Inde se vante,

Sicile la fabuleuse,

Ou bien l'Arabie Heureuse.

Quant à moi, tant que ma Lyre

Voudra les chansons élire

Que je lui commanderai,

Mon Anjou je chanterai.

Ô mon Fleuve paternel,


Quand le dormir éternel

Fera tomber à l'envers

Celui qui chante ces vers,

Et que par les bras amis

Mon corps bien près sera mis

De quelque fontaine vive,

Non guère loin de ta rive,

Au moins sur ma froide cendre

Fais quelques larmes descendre,

Et sonne mon bruit fameux

A ton rivage écumeux.

N'oublie le nom de celle

Qui toutes beautés excelle,

Et ce qu'ai pour elle aussi

Chanté sur ce bord ici.