dimanche 25 janvier 2009

J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans - Spleen (Charles Baudelaire)

La carte du comptoir des vers poursuit sa série consacrée à Charles Baudelaire. Après Toute entière, le chat, quand le ciel bas et lours pèse comme un couvercle, le soleil et l'albatros voici un poème que l'on peut interpréter comme précurseur de la psychanalyse ou bien comme un hymne à la brocante.
Toujours pour les puristes, la carte du comptoir poétique précise que "j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans" est tiré de Spleen et Idéal et fait partie des Fleurs du mal. Il est initialement composé d'un vers introductif titre du poème et des deux strophes de longueur différente.
De surcroît, la carte des vers se demande si le "gros meuble à tiroirs encombré de bilans" ne serait pas, en vérité, un comptoir ???


Cette livraison continue de Baudelaire, que ses ailes de géant empêchent souvent de marcher, amène la carte du comptoir des poésies, sans commentaire, à répudier momentanément Heredia (les Conquérants, le voeu, le vitrail), Edmond Rostand (tirade des nez de Cyrano de Bergerac, sept moyens de monter dans la Lune, rois mages, l'hymne au soleil, petit chat, nénuphars), Du Bellay (Heureux qui comme Ulysse, au fleuve de Loire), Aragon (Elsa, Chambres d'un moment, Chambre garnie, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Santa Espina, Nous dormirons ensemble, L'étrangère, Charlot mystique, Un jour un jour, Que serais-je sans toi ?, La rose et le réséda, La belle italienne, Les mains d'Elsa, Elsa au miroir, J'arrive où je suis étranger, L'affiche rouge, Les yeux d'Elsa), Arthur Rimbaud (le Bateau Ivre, le Dormeur du Val, Chanson de la plus haute tour, Vénus Anadyomène, Sensations, Voyelles, Ma Bohème, Petites amoureuses ou l'Orgie parisienne) et Guillaume Apollinaire (le Pont Mirabeau, A l'Italie, Nuit Rhénane, Le Chef de Section, l'Emigrant de Landor Road, Marizibill, La Victoire, Annie, l'Adieu, Nocturne, Ô naturel désir, Dans l'Abri-caverne, Chant de l'Horizon en Champagne, Acousmate, Le Vigneron Champenois, A la Santé ...).


J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,

De vers, de billets doux, de procès, de romances,

Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,

Cache moins de secrets que mon triste cerveau.

C'est une pyramide, un immense caveau,

Qui contient plus de morts que la fosse
commune.

Je suis un cimetière abhorré de la
lune,

Où comme des remords se traînent de longs vers

Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.

Je suis un
vieux boudoir plein de roses fanées,

Où gît tout un fouillis de modes surannées,

Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,

Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché.

Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,

Quand sous les lourds flocons des neigeuses années

L'ennui, fruit de la morne incuriosité,

Prend les proportions de l'immortalité.

Désormais tu n'es plus, ô matière vivante !

Qu'un granit entouré d'une vague épouvante,

Assoupi dans le fond d'un Sahara brumeux ;

Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,

Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche

Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.