mercredi 4 février 2009

Confession (Charles Baudelaire)

Loin des bijoux, la carte du comptoir des vers poursuit sa série sur Charles Baudelaire. Après toute entière, le chat, je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre (prélude à Sarah), quand le ciel bas et lours pèse comme un couvercle, le soleil, l'albatros, "j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans", correspondances, une mendiante rousse, une martyre et les bijoux, voici une confession.
Pour les puristes, la carte du comptoir poétique mentionne que confession était initialement composée de dix strophes de quatre vers .

Ce flux continu de Baudelaire, que ses ailes de géant empêchent souvent de marcher, amènent la carte du comptoir des poésies, sans aucun commentaire, à cesser pour l'instant de faire l'Heredia (les Conquérants, le voeu, le vitrail), d'Edmond Rostand (tirade des nez de Cyrano de Bergerac, sept moyens de monter dans la Lune, petit chat, rois mages, l'hymne au soleil, nénuphars), le Du Bellay (Heureux qui comme Ulysse, au fleuve de Loire), l'Aragon (Elsa, L'affiche rouge, Nous dormirons ensemble, L'étrangère, Que serais-je sans toi ?, Chambres d'un moment, Chambre garnie, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Un jour un jour, Charlot mystique, Santa Espina, La rose et le réséda, La belle italienne, Les mains d'Elsa, Elsa au miroir, J'arrive où je suis étranger, Les yeux d'Elsa), l'Arthur Rimbaud (le Bateau Ivre, Voyelles, Vénus Anadyomène, Ma Bohème, Sensations, Chanson de la plus haute tour, le Dormeur du Val, Petites amoureuses ou l'Orgie parisienne) et le Guillaume Apollinaire (le Pont Mirabeau, Le Chef de Section, Ô naturel désir, Acousmate, Annie, l'Adieu, Marizibill, Nocturne, La Victoire, A l'Italie, l'Emigrant de Landor Road, Dans l'Abri-caverne, Le Vigneron Champenois, Nuit Rhénane, Chant de l'Horizon en Champagne, A la Santé ...).


Une fois, une seule, aimable et douce femme,

A mon bras votre bras poli

S'appuya (sur le fond ténébreux de mon âme

Ce souvenir n'est point pâli),

Il était tard, ainsi qu'une médaille neuve

La pleine lune s'étalait,

Et la solennité de la nuit, comme un fleuve,

Sur Paris dormant ruisselait.

Et le long des maisons, sous les portes cochères,

Des chats passaient furtivement,

L'oreille au guet, ou bien, comme des ombres chères,

Nous accompagnaient lentement.

Tout à coup, au milieu de l'intimité libre

Éclose à la pâle clarté,

De vous, riche et sonore instrument où ne vibre

Que la radieuse gaieté,

De vous, claire et joyeuse ainsi qu'une fanfare

Dans le matin étincelant,

Une note plaintive, une note bizarre

S'échappa, tout en chancelant

Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde,

Dont sa famille rougirait,

Et qu'elle aurait longtemps, pour la cacher au monde,

Dans un caveau mise au secret.

Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde :

Que rien ici-bas n'est certain,

Et que toujours, avec quelque soin qu'il se farde,

Se trahit l'égoïsme humain,

Que c'est un dur métier que d'être belle femme,

Et que c'est le travail banal

De la danseuse folle et froide qui se pâme

Dans un sourire machinal,

Que bâtir sur les coeurs est une chose sotte,

Que tout craque, amour et beauté,

Jusqu'à ce que l'oubli les jette dans sa hotte

Pour les rendre à l'Éternité !

J'ai souvent évoqué cette lune enchantée,

Ce silence et cette langueur,

Et cette confidence horrible chuchotée

Au confessionnal du coeur.