samedi 7 février 2009

A celle qui est trop gaie (Charles Baudelaire)

Loin des bijoux, la carte du comptoir des vers persiste dans sa série sur Charles Baudelaire. Après toute entière, le chat, confession, je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre (prélude à Sarah), quand le ciel bas et lours pèse comme un couvercle, le soleil, l'albatros, "j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans", correspondances, une mendiante rousse, une martyre et les bijoux, voici un poème guilleret et surtout sadique de cet écrivain sérieusement tourmenté voire déjanté.
Pour les puristes, la carte du comptoir poétique mentionne que à celle qui est trop gaie était initialement composée de neuf strophes de quatre vers et a été publiée dans les Fleurs du mal .

Cette production croissante de Baudelaire, que ses ailes de géant empêchent souvent de marcher, amènent la carte du comptoir des poésies, sans aucun commentaire, à stopper pour l'instant l'Heredia (les Conquérants, le voeu, le vitrail), l'Edmond Rostand (tirade des nez de Cyrano de Bergerac, sept moyens de monter dans la Lune, rois mages, petit chat, l'hymne au soleil, nénuphars), le Du Bellay (Heureux qui comme Ulysse, au fleuve de Loire), l'Aragon (Elsa, Charlot mystique, Nous dormirons ensemble, L'étrangère, Que serais-je sans toi ?, Chambres d'un moment, Chambre garnie, L'affiche rouge, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Un jour un jour, Santa Espina, La rose et le réséda, La belle italienne, Les mains d'Elsa, Elsa au miroir, J'arrive où je suis étranger, Les yeux d'Elsa), l'Arthur Rimbaud (le Bateau Ivre, Ma Bohème, Sensations, Voyelles, Vénus Anadyomène, Chanson de la plus haute tour, le Dormeur du Val, Petites amoureuses ou l'Orgie parisienne) et le Guillaume Apollinaire (le Pont Mirabeau, La Victoire, A l'Italie, l'Emigrant de Landor Road, Dans l'Abri-caverne, Le Chef de Section, Ô naturel désir, Acousmate, Annie, l'Adieu, Marizibill, Nocturne, Le Vigneron Champenois, Nuit Rhénane, Chant de l'Horizon en Champagne, A la Santé ...).


Ta tête, ton geste, ton air

Sont beaux comme un beau paysage ;

Le rire joue en ton visage

Comme un vent frais dans un ciel clair.

Le passant chagrin que tu frôles

Est ébloui par la santé

Qui jaillit comme une clarté

De tes bras et de tes épaules.

Les retentissantes couleurs

Dont tu parsèmes tes toilettes

Jettent dans l'esprit des poètes

L'image d'un ballet de fleurs.

Ces robes folles sont l'emblème

De ton esprit bariolé,

Folle dont je suis affolé,

Je te hais autant que je t'aime !

Quelquefois dans un beau jardin

Où je traînais mon atonie,

J'ai senti, comme une ironie,

Le soleil déchirer mon sein,

Et le printemps et la verdure

Ont tant humilié mon coeur,

Que j'ai puni sur une fleur

L'insolence de la Nature.

Ainsi je voudrais, une nuit,

Quand l'heure des voluptés sonne,

Vers les trésors de ta personne,

Comme un lâche, ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,

Pour meurtrir ton sein pardonné,

Et faire à ton flanc étonné

Une blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur !

A travers ces lèvres nouvelles,

Plus éclatantes et plus belles,

T'infuser mon venin, ma soeur !