vendredi 6 mars 2009

Jour de fièvre (Sabine Sicaud)

La carte du comptoir des vers publie ce soir un opus terrible sur la maladie écrit par Sabine Sicaud, poétesse précoce et méconnue, terrassée à l'age de 15 ans en 1928.
Pour en savoir plus sur Sabine Sicaud, rendez vous sur le site qui lui est consacré.

La carte du comptoir des poésies, sans aucun autre commentaire, propose aussi ses "classiques" suggérés en bas de ce poème.


Ce que je veux ? Une carafe d'eau glacée.

Rien de plus. Nuit et jour, cette eau, dans ma pensée,

Ruisselle doucement comme d'une fontaine.

Elle est blanche, elle est bleue à force d'être fraîche.

Elle vient de la source ou d'une cruche pleine.

Elle a cet argent flou qui duvête les pêches

Et l'étincellement d'un cristal à facettes.

Elle est de givre fin, de brouillard, de rosée,

Jaillit de chaque vasque en gerbes irisées,

Glisse de chaque branche en rondes gouttelettes.

Au coeur de la carafe, elle rit. Elle perle

Sur son ventre poli, comme une sueur gaie.

En mille petits flots, pour rien, elle déferle,

Ou n'est qu'un point comme un brillant dans une haie.

Elle danse au plafond, se complaît dans la glace,

Frappe aux carreaux avec la pluie. Ah ! Ces cascades ...

C'est le Niagara, vert bleu, vert Nil, vert jade,

C'est l'eau miraculeuse en un fleuve de grâce,

Toute l'eau des névés, des lacs, des mers nordiques,

Toute l'eau du Rocher de Moïse, l'eau pure

D'une oasis perdue au centre de l'Afrique,

Toute l'eau qui mugit, toute l'eau qui murmure,

Toute l'eau, toute l'eau du ciel et de la terre,

Toute l'eau concentrée au creux glacé d'un verre !

Je ne demande rien qu'un verre d'eau glacée ...

Vous ne voyez donc pas mes doigts brûlants de fièvre,

Mes doigts tendus vers l'eau qui fuit ? Mes pauvres lèvres

Sèches comme une plante à la tige cassée ?

La soif qui me torture est celle des grands sables

Où galope toujours le simoun. Je ne pense

Qu'à ce filet d'eau merveilleuse, intarissable,

Où des poissons heureux circulent. Transparence,

Fraîcheur ... Est-il rien d'autre au monde que j'implore ?

Alcarazas, alcaraza s... un café maure

Et, dans la torpeur bleue où des buveurs s'attardent,

Un verre débordant parmi les autres verres,

Un verre sans couleurs subtiles qui le fardent,

Mais rempli de cette eau si froide, nette, claire ...

Ah ! prenez pour cette eau ce qui me reste à vivre,

Mais laissez-la couler en moi, larmes de givre,

Don de l'hiver à ce brasier qui me consume.

Vous souvient-il de ces bruits clairs, dans de l'écume,

Au bord d'un gave fou ? J'ai soif de tous les gaves.

Les sabots des mulets, vous souvient-il, s'y lavent,

Les pieds du chemineau s'y délassent. Dieu juste,

Ne puis-je boire au moins comme le pré, l'arbuste,

Le chien de la montagne au fil de l'eau qui court ?

Cette eau ... Cette eau qui m'échappe toujours,

Qui, nuit et jour, obsède ma pensée ...

Ne m'accorderez-vous deux gouttes d'eau glacée ?


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Les "classiques" de la
carte du comptoir des vers :


- D'autres Arthur Rimbaud : le bateau ivre, le dormeur du val, voyelles, sensations, Vénus Anadyomène, chant de guerre parisien, soleil et chair, chanson de la plus haute tour, les étrennes des orphelins, l'homme juste, petites amoureuses, première soirée, aube, au cabaret vert (cinq heures du soir), ma Bohème, les douaniers, Michel et Christine, Marine, les mains de Jeanne-Marie, les assis, tête de faune, à la musique, mouvement, age d'or, ô saisons ô chateaux, Bruxelles, l'orgie parisienne, jeune ménage, les pauvres à l'église

- José Maria de Heredia : les conquérants ("comme un vol de gerfauts hors du charnier natal"), le tepidarium, l'esclave, le vitrail, soir de bataille, le voeu, la belle viole, fleurs de feu, Tranquillus, le bain

- Edmond Rostand : tirade des nez de Cyrano de Bergerac, sept moyens de monter dans la Lune (Cyrano de Bergerac), petit chat, rois mages, l'hymne au soleil, nénuphars

- Charles Baudelaire : l'albatros, les bijoux, je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre (prélude à Sarah), "j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans", à celle qui est trop gaie, correspondances, le soleil, toute entière, une martyre, à une dame créole, j'aime le souvenir de ces époques nues, une mendiante rousse, confession, les ténèbres,
quand le ciel bas et lours pèse comme un couvercle, le chat

- Joachim du Bellay : heureux qui comme Ulysse, au fleuve de Loire, cent fois plus qu'à louer on se plaît à médire, à Madame Marguerite d'écrire en sa langue

-
Louis Aragon : l'étrangère, que serais-je sans toi ?, est-ce ainsi que les hommes vivent ?, un jour un jour, l'affiche rouge, la belle italienne, Santa Espina, chambre garnie, chambres d'un moment, nous dormirons ensemble, la rose et le réséda, Charlot mystique, Elsa, Elsa au miroir, les mains d'Elsa, j'arrive où je suis étranger, les yeux d'Elsa

- Guillaume Apollinaire : le Pont Mirabeau, l'adieu, nuit rhénane, acousmate, nocturne, le vigneron champenois, le chef de section, chant de l'horizon en Champagne, la Victoire, ô naturel désir, à l'Italie, Annie, Marizibill, dans l'abri-caverne, l'émigrant de Landor Road, à la Santé

- Et, bien entendu, le kitschissime poème acadien de H.W. Longfellow Evangéline