samedi 28 février 2009

Le menuisier (Emile Verhaeren)

Afin de réhabiliter les métiers d'autrefois, la carte du comptoir des vers publie le menuisier d'Emile Verhaeren, poète qui ne pratique pas la langue de bois mais plutôt la philosophie ou la métaphysique.

La carte du comptoir des poésies, sans commentaire additionel, propose aussi d'essayer ses classiques proposés en bas de ce poème.


Le menuisier du vieux savoir

Fait des cercles et des carrés,

Tenacement, pour démontrer

Comment l'âme doit concevoir

Les lois indubitables et fécondes

Qui sont la règle et la clarté du monde.

A son enseigne, au coin du bourg, là-bas,

Les branches d'or d'un grand compas

Comme un blason, sur sa maison

Semblent deux rais pris au soleil.

Le menuisier construit ses appareils

Tas d'algèbres en des ténèbres

Avec des mains prestes et nettes

Et des regards, sous ses lunettes,

Aigus et droits, sur son travail

Tout en détails.

Ses fenêtres à gros barreaux

Ne voient le ciel que par petits carreaux ;

Et sa boutique, autant que lui,

Est vieille et vit d'ennui.

Il est l'homme de l'habitude

Qu'en son cerveau tissa l'étude,

Au long des temps de ses cent ans

Monotones et végétants.

Grâce à de pauvres mécaniques

Et des signes talismaniques

Et des cônes de bois et des segments de cuivre

Et le texte d'un pieux livre

Traçant, la croix, par au travers,

Le menuisier dit l'univers.

Matin et soir, il a peiné

Les yeux vieillots, l'esprit cerné,

Imaginant des coins et des annexes

Et des ressorts malicieux

A son travail chinoisement complexe,

Où, sur le faîte, il dressa Dieu.

Il rabote ses arguments

Et taille en deux toutes répliques

Et ses raisons hyperboliques

Trouent la nuit d'or des firmaments.

Il explique, par des sentences,

Le problème des existences

Et discute sur la substance.

Il s'éblouit du grand mystère,

Lui donne un nom complémentaire

Et croit avoir instruit la terre.

Il est le maître en controverses,

L'esprit humain qu'il bouleverse,

Il l'a coupé en facultés adverses,

Et fourre l'homme qu'il étrique,

A coups de preuves excentriques,

En son système symétrique.

Le menuisier a pour voisins

Le curé et le médecin

Qui ramassent, en ses travaux pourtant irréductibles,

Chacun pour soi, des arguments incompatibles.

Ses scrupules n'ont rien laissé

D'impossible, qu'il n'ait casé,

D'après un morne rigorisme,

En ses tiroirs de syllogismes.

Ses plus graves et assidus clients ?

Les gens branlants, les gens bêlants

Qui achètent leur viatique,

Pour quelques sous, dans sa boutique.

Il vit de son enseigne, au coin du bourg,

Biseaux dorés et compas lourd

Et n'écoute que l'aigre serinette,

A sa porte, de la sonnette.

Il a taillé, limé, sculpté

Une science d'entêté,

Une science de paroisse,

Sans lumière, ni sans angoisse.

Si bien qu'au jour qu'il s'en ira

Son appareil se cassera ;

Et ses enfants feront leur jouet,

De cette éternité qu'il avait faite,

A coups d'équerre et de réglette.


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Les classiques de la
carte du comptoir des vers :


- Arthur Rimbaud : le bateau ivre, le dormeur du val, voyelles, sensations, Vénus Anadyomène, chanson de la plus haute tour, ma Bohème, les douaniers, l'homme juste, petites amoureuses, première soirée, aube, au cabaret vert (cinq heures du soir), Michel et Christine, Marine, les mains de Jeanne-Marie, les assis, soleil et chair, tête de faune, à la musique, chant de guerre parisien, mouvement, jeune ménage, age d'or, ô saisons ô chateaux, les étrennes des orphelins, Bruxelles, l'orgie parisienne, les pauvres à l'église

- Guillaume Apollinaire : le Pont Mirabeau, l'adieu, nuit rhénane, le vigneron champenois, ô naturel désir, le chef de section, nocturne, Marizibill, l'émigrant de Landor Road, chant de l'horizon en Champagne, acousmate, la Victoire, à l'Italie, Annie, dans l'abri-caverne, à la Santé

- Joachim du Bellay : heureux qui comme Ulysse, cent fois plus qu'à louer on se plaît à médire, au fleuve de Loire, à Madame Marguerite d'écrire en sa langue

- Edmond Rostand : tirade des nez de Cyrano de Bergerac, sept moyens de monter dans la Lune (Cyrano de Bergerac), petit chat, rois mages, l'hymne au soleil, nénuphars

- Charles Baudelaire : l'albatros, les bijoux, "j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans", je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre (prélude à Sarah), toute entière, une martyre, à une dame créole, j'aime le souvenir de ces époques nues, une mendiante rousse, confession, les ténèbres, quand le ciel bas et lours pèse comme un couvercle, le soleil, à celle qui est trop gaie, correspondances, le chat

- Louis Aragon : l'étrangère, que serais-je sans toi ?, est-ce ainsi que les hommes vivent ?, l'affiche rouge, la belle italienne, Santa Espina, chambre garnie, chambres d'un moment, nous dormirons ensemble, la rose et le réséda, un jour un jour, Charlot mystique, Elsa, Elsa au miroir, les mains d'Elsa, j'arrive où je suis étranger, les yeux d'Elsa

- José Maria de Heredia : les conquérants, le vitrail, l'esclave, soir de bataille, le voeu, le tepidarium, la belle viole, fleurs de feu, Tranquillus

- Et bien entendu, le très long et très kitsch poème acadien de H.W. Longfellow Evangéline