dimanche 8 mars 2009

Douleur je vous déteste (Sabine Sicaud)

La carte du comptoir des vers continue la publication des poèmes sur la maladie de Sabine Sicaud, poétesse précoce et méconnue, terrassée à l'age de 15 ans en 1928.
Pour en savoir plus sur Sabine Sicaud, rendez vous sur le site qui lui est consacré.

La carte du comptoir des poésies, sans autre commentaire, suggère aussi ses "classiques" proposés en bas de ce poème.


Douleur, je vous déteste ! Ah ! Que je vous déteste !

Souffrance, je vous hais, je vous crains, j'ai l'horreur

De votre guet sournois, de ce frisson qui reste

Derrière vous, dans la chair, dans le coeur ...

Derrière vous, parfois vous précédant,

J'ai senti cette chose inexprimable, affreuse :

Une bête invisible aux minuscules dents

Qui vient comme la taupe et fouille et mord et creuse

Dans la belle santé confiante - pendant

Que l'air est bleu, le soleil calme, l'eau si fraîche !

Ah ! " l'honneur de souffrir " ?... Souffrance aux lèvres sèches,

Souffrance laide, quoi qu'on dise, quel que soit

Votre déguisement - Souffrance

Foudroyante ou tenace ou les deux à la fois -

Moi je vous vois comme un péché, comme une offense

A l'allègre douceur de vivre, d'être sain

Parmi des fruits luisants, des feuilles vertes,

Des jardins faisant signe aux fenêtres ouvertes ...

De gais canards courent vers les bassins,

Des pigeons nagent sur la ville, fous d'espace.

Nager, courir, lutter avec le vent qui passe,

N'est-ce donc pas mon droit puisque la vie est là

Si simple en apparence ... en apparence !

Faut-il être ces corps vaincus, ces esprits las,

Parce qu'on vous rencontre un jour, souffrance,

Ou croire à cet honneur de vous appartenir

Et dire qu'il est grand, peut-être, de souffrir ?

Grand ? Qui donc en est sûr et que m'importe !

Que m'importe le nom du mal, grand ou petit,

Si je n'ai plus en moi, candide et forte,

La joie au clair visage ? Il s'est menti,

Il se ment à lui-même, le poète

Qui, pour vous ennoblir, vous chante ... Je vous hais.

Vous êtes lâche, injuste, criminelle, prête

Aux pires trahisons ! Je sais

Que vous serez mon ennemie infatigable

Désormais ... Désormais, puisqu'il ne se peut pas

Que le plus tendre parc embaumé de lilas,

Le plus secret chemin d'herbe folle ou de sable,

Permettent de vous fuir ou de vous oublier !

Chère ignorance en petit tablier,

Ignorance aux pieds nus, aux bras nus, tête nue

A travers les saisons, ignorance ingénue

Dont le rire tintait si haut. Mon ignorance,

Celle d'avant, quand vous m'étiez une inconnue,

Qu'en a-t-on fait, qu'en faites-vous, vieille souffrance ?

Vous pardonner cela qui me change le monde ?

Je vous hais trop ! Je vous hais trop d'avoir tué

Cette petite fille blonde

Que je vois comme au fond d'un miroir embué ...

Une autre est là, pâle, si différente !

Je ne peux pas, je ne veux pas m'habituer

A vous savoir entre nous deux, toujours présente,

Sinistre Carabosse à qui les jeunes fées

Opposent vainement des pouvoirs secourables !

Il était une fois ...

Il était une fois - pauvres voix étouffées !

Qui les ranimera, qui me rendra la voix

De cette source, fée entre toutes les fées,

Où tous les maux sont guérissables ?


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Les "classiques" de la
carte du comptoir des vers :


- Arthur Rimbaud : le bateau ivre, le dormeur du val, voyelles, sensations, Vénus Anadyomène, chant de guerre parisien, soleil et chair, Marine, chanson de la plus haute tour, les étrennes des orphelins, l'homme juste, petites amoureuses, première soirée, aube, au cabaret vert (cinq heures du soir), ma Bohème, les douaniers, Michel et Christine, les mains de Jeanne-Marie, les assis, tête de faune, à la musique, mouvement, age d'or, ô saisons ô chateaux, Bruxelles, l'orgie parisienne, jeune ménage, les pauvres à l'église

- Edmond Rostand : tirade des nez de Cyrano de Bergerac, sept moyens de monter dans la Lune (Cyrano de Bergerac), petit chat, rois mages, l'hymne au soleil, nénuphars

- José Maria de Heredia : les conquérants ("comme un vol de gerfauts hors du charnier natal"), le tepidarium, l'esclave, le vitrail, soir de bataille, le voeu, la belle viole, fleurs de feu, Tranquillus, le bain

- Charles Baudelaire : l'albatros, les bijoux, je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre (prélude à Sarah), "j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans", à celle qui est trop gaie, correspondances, le soleil, toute entière, une martyre, à une dame créole, j'aime le souvenir de ces époques nues, une mendiante rousse, confession, les ténèbres,
quand le ciel bas et lours pèse comme un couvercle, le chat

- Joachim du Bellay : heureux qui comme Ulysse, au fleuve de Loire, cent fois plus qu'à louer on se plaît à médire, à Madame Marguerite d'écrire en sa langue

-
Louis Aragon : l'étrangère, que serais-je sans toi ?, est-ce ainsi que les hommes vivent ?, un jour un jour, l'affiche rouge, la belle italienne, Santa Espina, chambre garnie, chambres d'un moment, nous dormirons ensemble, la rose et le réséda, Charlot mystique, Elsa, Elsa au miroir, les mains d'Elsa, j'arrive où je suis étranger, les yeux d'Elsa

- Guillaume Apollinaire : le Pont Mirabeau, l'adieu, nuit rhénane, acousmate, nocturne, le vigneron champenois, le chef de section, chant de l'horizon en Champagne, la Victoire, ô naturel désir, à l'Italie, Annie, Marizibill, dans l'abri-caverne, l'émigrant de Landor Road, à la Santé

- Et, bien entendu, le kitschissime poème acadien de H.W. Longfellow Evangéline