dimanche 8 mars 2009

La solitude (Sabine Sicaud)

La carte du comptoir des vers continue la publication des poèmes de Sabine Sicaud, poétesse précoce et méconnue, foudroyée par la maladie à l'age de 15 ans en 1928.
Pour en savoir plus sur Sabine Sicaud, rendez vous sur le site qui lui est consacré.

La carte du comptoir des poésies, sans autre commentaire, propose aussi ses "classiques" en bas de ce poème.


Solitude ... Pour vous cela veut dire seul,

Pour moi - qui saura me comprendre ?

Cela veut dire : vert, vert dru, vivace tendre,

Vert platane, vert calycanthe, vert tilleul.

Mot vert. Silence vert. Mains vertes

De grands arbres penchés, d'arbustes fous ;

Doigts mêlés de rosiers, de lauriers, de bambous,

Pieds de cèdres âgés où se concertent

Les bêtes à Bon Dieu ; rondes alertes

De libellules sur l'eau verte ...

Dans l'eau, reflets de marronniers,

D'ifs bruns, de vimes blonds, de longues menthes

Et de jeune cresson ; flaques dormantes

Et courants vifs où rament les meuniers,

Rainettes à ressort et carpes vénérables ;

Martin-pêcheur... En mars, étoiles de pruniers,

De poiriers, de pommiers, grappes d'érables.

En mai, la fête des ciguës,

Celle des boutons d'or : splendeur des prés.

Clochers blancs des yuccas, lances aiguës

Et tiges douces, chèvrefeuille aux brins serrés,

Vigne-vierge aux bras lourds chargés de palmes,

Et toujours, et partout, fraîche, luisante, calme,

L'invasion du lierre à petits flots lustrés

Gagnant le mur des cours, les carreaux des fenêtres,

Les toits des pavillons vainement retondus ...

Lierre nouant au front du chêne, au cou du hêtre,

Ses bouquets de grains noirs comme un piège tendu

A la grive hésitante ; vert royaume

Des merles en habit - royaume qui s'étend

Ainsi que dans un parc de Florence ou de Rome

En nappes d'émeraude et cordages flottants ...

Lierre de cette allée au porche de lumière

Dont les platanes séculaires, chaque été,

Font une longue cathédrale verte - lierre

De la grotte en rocaille où dorment abrités

Chaque hiver, les callas et les cactus fragiles,

Housse, que la poussière blanche de la ville

Givre à peine les soirs de très grand vent - pour moi,

Vert obligé des vieilles pierres,

Des arbres vieux, des toits qui penchent, des vieux toits -

Un château ? Non, Madame, une gentilhommière,

Un ermitage vert qui sent les bois, le foin,

Où les bruits de la route arrivent d'assez loin

Pour n'être plus qu'une musique en demi-teintes.

Un train sur le talus se hâte avec des plaintes,

Mais l'horizon tout rose et mauve qu'il rejoint

Transpose le voyage en couleurs de légende.

On regarde un instant vers ces trains qui s'en vont

Traînant leur barbe grise et c'est vrai qu'ils répandent

Un peu de nostalgie au fil de l'été blond ...

Mais le jazz des moineaux fait rage dans les feuilles,

Les pigeons blancs s'exaltent, le cyprès

Est la tour enchantée où des notes s'effeuillent

Autour du rossignol. Du pré,

Monte la fièvre des grillons, des sauterelles,

Toutes les herbes ont des pattes, ont des ailes

Et l'Ane et le Cheval de la Fable sont là

Et Chantecler se joue en grand gala

Jour et nuit dans la cour où des plumes voltigent.

Au clair de l'eau, c'est l'éternel prodige

Du têtard de velours devenu crapaud d'or,

De la voix de cristal parmi les râpes neuves

D'innombrables grenouilles. Le chat dort.

Dickette-chien s'affaire - et sur leur tête pleuvent

Des pastilles de lune ou de soleil brûlant.

S'il pleut vraiment, la pluie à pleins seaux ruisselants

S'éparpille de même aux doigts verts qui l'arrêtent.

Un tilleul, des bambous. L'abri vert du poète,

Du vert, comprenez-vous ? Pour qu'aux vieilles maisons

Rien ne blesse les yeux sous leurs paupières lasses.

Douceur de l'arbre, de la mousse, du gazon ...

Vous dites : Solitude ? Ah ! dans l'heure qui passe,

Est-il rien de vivant plus vivant qu'un jardin,

De plus mystérieux, parfumé, dru, tenace,

Et peuplé - si peuplé qu'il arrive soudain

Qu'on y discourt avec mille petits génies

Sortis l'on ne sait d'où, comme chez Aladin.

Un mot vert... Qui dira la fraîcheur infinie

D'un mot couleur de sève et de source et de l'air

Qui baigne une maison depuis toujours la vôtre,

Un mot désert peut-être et desséché pour d'autres,

Mais pour soi, familier, si proche, tendre, vert

Comme un îlot, un cher îlot dans l'univers ?


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Les "classiques" de la
carte du comptoir des vers :


- D'autres Sabine Sicaud : douleur je vous déteste, jour de fièvre, la vieille femme de la Lune, vous parler ?, premières feuilles

-
José Maria de Heredia : les conquérants ("comme un vol de gerfauts hors du charnier natal"), le tepidarium, l'esclave, le vitrail, soir de bataille, le voeu, la belle viole, fleurs de feu, Tranquillus, le bain

- Arthur Rimbaud : le bateau ivre, le dormeur du val, voyelles, sensations, Vénus Anadyomène, chant de guerre parisien, première soirée, aube, soleil et chair, chanson de la plus haute tour, les étrennes des orphelins, l'homme juste, Marine, petites amoureuses, les mains de Jeanne-Marie, au cabaret vert (cinq heures du soir), ma Bohème, les douaniers, Michel et Christine, les assis, tête de faune, à la musique, mouvement, age d'or, ô saisons ô chateaux, Bruxelles, l'orgie parisienne, jeune ménage, les pauvres à l'église

- Joachim du Bellay : heureux qui comme Ulysse, au fleuve de Loire, cent fois plus qu'à louer on se plaît à médire, à Madame Marguerite d'écrire en sa langue

- Charles Baudelaire : l'albatros, les bijoux, à une dame créole, j'aime le souvenir de ces époques nues, je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre (prélude à Sarah), à celle qui est trop gaie, correspondances, "j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans", le soleil, toute entière, une martyre, une mendiante rousse, confession, les ténèbres,
quand le ciel bas et lours pèse comme un couvercle, le chat

- Louis Aragon : l'étrangère, que serais-je sans toi ?, est-ce ainsi que les hommes vivent ?, un jour un jour, l'affiche rouge, la belle italienne, la rose et le réséda, Charlot mystique, Santa Espina, chambre garnie, chambres d'un moment, nous dormirons ensemble, Elsa, Elsa au miroir, les mains d'Elsa, j'arrive où je suis étranger, les yeux d'Elsa

- Edmond Rostand : tirade des nez de Cyrano de Bergerac, sept moyens de monter dans la Lune (Cyrano de Bergerac), petit chat, l'hymne au soleil, rois mages, nénuphars

- Guillaume Apollinaire : le Pont Mirabeau, l'adieu, nuit rhénane, acousmate, chant de l'horizon en Champagne, le chef de section, la Victoire, nocturne, le vigneron champenois, ô naturel désir, à l'Italie, Annie, Marizibill, dans l'abri-caverne, l'émigrant de Landor Road, à la Santé

- Et, bien entendu, le kitschissime poème acadien de H.W. Longfellow Evangéline