mercredi 18 mars 2009

La flute (Alfred de Vigny)

La carte du comptoir fournit maintenant un (trop ?) long Alfred de Vigny, poète insipide spécialiste de la flûte voire du pipeau.

La carte du comptoir des poésies, sans plus de commentaires ni d'explications, suggère ses "classiques" en bas de cet opus.


Un jour je vis s'asseoir au pied de ce grand arbre

Un Pauvre qui posa sur ce vieux banc de marbre

Son sac et son chapeau, s'empressa d'achever

Uu morceau de pain noir, puis se mit à rêver.

Il paraissait chercher dans les longues allées

Quelqu'un pour écouter ses chansons désolées,

Il suivait à regret la trace des passants

Rares et qui, pressés, s'en allaient en tous sens.

Avec eux s'enfuyait l'aumône disparue,

Prix douteux d'un lit dur en quelque étroite rue

Et d'un amer souper dans un logis malsain.

Cependant il tirait lentement de son sein,

Comme se préparait au martyre un apôtre,

Les trois parts d'une Flûte et liait l'une à l'autre

Essayait l'embouchure à son menton tremblant,

Faisait mouvoir la clef, l'épurait en soufflant,

Sur ses genoux ployés frottait le bois d'ébène,

Puis jouait. Mais son front en vain gonflait sa veine,

Personne autour de lui pour entendre et juger

L'humble acteur d'un public ingrat et passager.

J'approchais une main du vieux chapeau d'artiste

Sans attendre un regard de son oeil doux et triste

En ce temps, de révolte et d'orgueil si rempli ;

Mais, quoique pauvre, il fut modeste et très poli.

Il me fit un tableau de sa pénible vie.

Poussé par ce démon qui toujours nous convie,

Ayant tout essayé, rien ne lui réussit,

Et le chaos entier roulait dans son récit.

Ce n'était qu'élan brusque et qu'ambitions folles,

Qu'entreprise avortée et grandeur en paroles.

D'abord, à son départ, orgueil démesuré,

Gigantesque écriteau sur un front assuré,

Promené dans Paris d'une façon hautaine :

Bonaparte et Byron, poète et capitaine,

Législateur aussi, chef de religion

De tous les écoliers c'est la contagion,

Père d'un panthéisme orné de plusieurs choses,

De quelques âges d'or et des métempsychoses

De Boudha, qu'en son coeur il croyait inventer ;

Il l'appliquait à tout, espérant importer

Sa révolution dans sa philosophie ;

Mais des contrebandiers notre âge se défie,

Bientôt par nos fleurets le défaut est trouvé ;

D'un seul argument fin son ballon fut crevé.

Pour hisser sa nacelle il en gonfla bien d'autres

Que le vent dispersa. Fatigué des apôtres,

Il dépouilla leur froc. Lui-même le premier

Souriait tristement de cet air cavalier

Dont sa marche, au début, avait été fardée

Et, pour d'obscurs combats, si pesamment bardée ;

Car, plus grave à présent, d'une double lueur

Semblait se réchauffer et s'éclairer son coeur,

Le Bon Sens qui se voit, la Candeur qui l'avoue,

Coloraient en parlant les pâleurs de sa joue.

Laissant donc les couvents, panthéistes ou non,

Sur la poupe d'un drame il inscrivit son nom

Et vogua sur ces mers aux trompeuses étoiles,

Mais, faute de savoir, il sombra sous ses voiles

Avant d'avoir montré son pavillon aux airs.

Alors rien devant lui que flots noirs et déserts,

L'océan du travail si chargé de tempêtes

Où chaque vague emporte et brise mille têtes.

Là, flottant quelques jours sans force et sans fanal,

Son esprit surnagea dans les plis d'un journal,

Radeau désespéré que trop souvent déploie

L'équipage affamé qui se perd et se noie.

Il s'y noya de même, et de même, ayant faim,

Fit ce que fait tout homme invalide et sans pain.

Je gémis, disait-il, d'avoir une pauvre âme

Faible autant que serait l'âme de quelque femme,

Qui ne peut accomplir ce qu'elle a commencé

Et s'abat au départ sur tout chemin tracé.

L'idée à l'horizon est à peine entrevue,

Que sa lumière écrase et fait ployer ma vue.

Je vois grossir l'obstacle en invincible amas,

Je tombe ainsi que Paul en marchant vers Damas.

Pourquoi, me dit la voix qu'il faut aimer et craindre,

Pourquoi me poursuis-tu, toi qui ne peux m'étreindre ?

Et le rayon me trouble et la voix m'étourdit,

Et je demeure aveugle et je me sens maudit.

Non, criai-je en prenant ses deux mains dans les miennes,

Ni dans les grandes lois des croyances anciennes,

Ni dans nos dogmes froids, forgés à l'atelier,

Entre le banc du maître et ceux de l'écolier,

Ces faux Athéniens dépourvus d'Atticisme,

Qui nous soufflent aux yeux des bulles de sophisme,

N'ont découvert un mot par qui fût condamné

L'homme aveuglé d'esprit plus que l'aveugle-né.

C'est assez de souffrir sans se juger coupable

Pour avoir entrepris et pour être incapable,

J'aime, autant que le fort, le faible courageux

Qui lance un bras débile en des flots orageux,

De la glace d'un lac plonge dans la fournaise

Et d'un volcan profond va tourmenter la braise.

Ce Sisyphe éternel est beau, seul, tout meurtri,

Brûlé, précipité, sans jeter un seul cri,

Et n'avouant jamais qu'il saigne et qu'il succombe

A toujours ramasser son rocher qui retombe.

Si, plus haut parvenus, de glorieux esprits

Vous dédaignent jamais, méprisez leur mépris ;

Car ce sommet de tout, dominant toute gloire,

Ils n'y sont pas, ainsi que l'oeil pourrait le croire.

On n'est jamais en haut. Les forts, devant leurs pas,

Trouvent un nouveau mont inaperçu d'en bas.

Tel que l'on croit complet et maître en toute chose

Ne dit pas les savoirs qu'à tort on lui suppose,

Et qu'il est tel grand but qu'en vain il entreprit.

Tout homme a vu le mur qui borne son esprit.

Du corps et non de l'âme accusons l'indigence.

Des organes mauvais servent l'intelligence

Et touchent, en tordant et tourmentant leur noeud,

Ce qu'ils peuvent atteindre et non ce qu'elle veut.

En traducteurs grossiers de quelque auteur céleste

Ils parlent ... Elle chante et désire le reste.

Et, pour vous faire ici quelque comparaison,

Regardez votre Flûte, écoutez-en le son.

Est-ce bien celui-là que voulait faire entendre

La lèvre ? Était-il pas ou moins rude ou moins tendre ?

Eh bien, c'est au bois lourd que sont tous les défauts,

Votre souffle était juste et votre chant est faux.

Pour moi qui ne sais rien et vais du doute au rêve,

Je crois qu'après la mort, quand l'union s'achève,

L'âme retrouve alors la vue et la clarté,

Et que, jugeant son oeuvre avec sérénité,

Comprenant sans obstacle et s'expliquant sans peine,

Comme ses soeurs du ciel elle est puissante et reine,

Se mesure au vrai poids, connaît visiblement

Que son souffle était faux par le faux instrument,

N'était ni glorieux ni vil, n'étant pas libre ;

Que le corps seulement empêchait l'équilibre ;

Et, calme, elle reprend, dans l'idéal bonheur,

La sainte égalité des esprits du Seigneur.

Le Pauvre alors rougit d'une joie imprévue,

Et contempla sa Flûte avec une autre vue,

Puis, me connaissant mieux, sans craindre mon aspect,

Il la baisa deux fois en signe de respect,

Et joua, pour quitter ses airs anciens et tristes,

Ce Salve Regina que chantent les Trappistes.

Son regard attendri paraissait inspiré,

La note était plus juste et le souffle assuré.

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Les "classiques" de la
carte du comptoir des vers :


- José Maria de Heredia : les conquérants ("comme un vol de gerfauts hors du charnier natal"), l'esclave, la belle viole, le tepidarium, soir de bataille, le vitrail, le voeu, fleurs de feu, Tranquillus, le bain

-
Sabine Sicaud : douleur je vous déteste, jour de fièvre, vous parler ?, la solitude, chemins de l'ouest, la vieille femme de la Lune, premières feuilles, la grotte des lépreux

-
Joachim du Bellay : heureux qui comme Ulysse, cent fois plus qu'à louer on se plaît à médire, au fleuve de Loire, à Madame Marguerite d'écrire en sa langue

- Charles Baudelaire : l'albatros, les bijoux, je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre (prélude à Sarah), une martyre, correspondances, à une dame créole, le soleil, toute entière, j'aime le souvenir de ces époques nues,les ténèbres, à celle qui est trop gaie,quand le ciel bas et lours pèse comme un couvercle, "j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans", une mendiante rousse, confession, le chat

-
Edmond Rostand : tirade des nez de Cyrano de Bergerac, sept moyens de monter dans la Lune (Cyrano de Bergerac), petit chat, rois mages, l'hymne au soleil, nénuphars

- Guillaume Apollinaire : le Pont Mirabeau, l'adieu, nuit rhénane, Annie, Marizibill, le chef de section, acousmate, chant de l'horizon en Champagne, dans l'abri-caverne, la Victoire, nocturne, le vigneron champenois, ô naturel désir, à l'Italie, l'émigrant de Landor Road, à la Santé

- Louis Aragon : l'étrangère, que serais-je sans toi ?, est-ce ainsi que les hommes vivent ?, nous dormirons ensemble, Santa Espina,la rose et le réséda, un jour un jour, l'affiche rouge, la belle italienne, Charlot mystique, chambre garnie, chambres d'un moment,
Elsa, Elsa au miroir, les mains d'Elsa, j'arrive où je suis étranger, les yeux d'Elsa

- Arthur Rimbaud : le bateau ivre, le dormeur du val, voyelles, sensations, les assis, Vénus Anadyomène, chant de guerre parisien, première soirée, l'homme juste, les mains de Jeanne-Marie, les étrennes des orphelins, chanson de la plus haute tour, Marine, les douaniers, petites amoureuses, aube, soleil et chair, au cabaret vert (cinq heures du soir), ma Bohème, Michel et Christine, jeune ménage,tête de faune, à la musique, mouvement, age d'or, ô saisons ô chateaux, Bruxelles, l'orgie parisienne, les pauvres à l'église

- Et, bien entendu, le kitschissime poème acadien de H.W. Longfellow Evangéline