vendredi 3 juillet 2009

Les Djinns (Victor Hugo)

"Murs, ville et port. Asile de mort" ...
"Tout passe. L'espace efface le bruit" ...

"Des Djinns ! Quel bruit ils font !" ...

En ce début de week-end, la
carte du comptoir des vers affiche les Djinns, oeuvre tonique, trapézoïdale et orientale de Victor Hugo génie très connu ...

La carte du comptoir des poésies, sans autre commentaire, analyse ou explication de texte, suggère aussi de nombreux "classiques" présentés en bas de ce poème.


Murs, ville,

Et port,

Asile

De mort
,

Mer grise

Où brise

La brise,

Tout dort.

Dans la plaine

Naît un bruit.

C'est l'haleine

De la nuit.

Elle brame

Comme une âme

Qu'une flamme

Toujours suit !

La voix plus haute

Semble un grelot.

D'un nain qui saute

C'est le galop.

Il fuit, s'élance,

Puis en cadence

Sur un pied danse

Au bout d'un flot.

La rumeur approche.

L'écho la redit.

C'est comme la cloche

D'un couvent maudit ;

Comme un bruit de foule,

Qui tonne et qui roule,

Et tantôt s'écroule,

Et tantôt grandit,

Dieu ! La voix sépulcrale

Des Djinns ! ... Quel bruit ils font !

Fuyons sous la spirale

De l'escalier profond.

Déjà s'éteint ma lampe,

Et l'ombre de la rampe,

Qui le long du mur rampe,

Monte jusqu'au plafond.

C'est l'essaim des Djinns qui passe,

Et tourbillonne en sifflant !

Les ifs, que leur vol fracasse,

Craquent comme un pin brûlant.

Leur troupeau, lourd et rapide,

Volant dans l'espace vide,

Semble un nuage livide

Qui porte un éclair au flanc.

Ils sont tout près ! Tenons fermée

Cette salle, où nous les narguons.

Quel bruit dehors ! Hideuse armée

De vampires et de dragons !

La poutre du toit descellée

Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,

Et la vieille porte rouillée

Tremble, à déraciner ses gonds !

Cris de l'enfer ! Voix qui hurle et qui pleure !

L'horrible essaim, poussé par l'aquilon,

Sans doute, ô ciel ! S'abat sur ma demeure.

Le mur fléchit sous le noir bataillon.

La maison crie et chancelle penchée,

Et l'on dirait que, du sol arrachée,

Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,

Le vent la roule avec leur tourbillon !

Prophète ! Si ta main me sauve

De ces impurs démons des soirs,

J'irai prosterner mon front chauve

Devant tes sacrés encensoirs !

Fais que sur ces portes fidèles

Meure leur souffle d'étincelles,

Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes

Grince et crie à ces vitraux noirs !

Ils sont passés ! Leur cohorte

S'envole, et fuit, et leurs pieds

Cessent de battre ma porte

De leurs coups multipliés.

L'air est plein d'un bruit de chaînes,

Et dans les forêts prochaines

Frissonnent tous les grands chênes,

Sous leur vol de feu pliés !

De leurs ailes lointaines

Le battement décroît,

Si confus dans les plaines,

Si faible, que l'on croit

Ouïr la sauterelle

Crier d'une voix grêle,

Ou pétiller la grêle

Sur le plomb d'un vieux toit.

D'étranges syllabes

Nous viennent encor ;

Ainsi, des arabes

Quand sonne le cor,

Un chant sur la grève

Par instants s'élève,

Et l'enfant qui rêve

Fait des rêves d'or.

Les Djinns funèbres,

Fils du trépas,

Dans les ténèbres

Pressent leurs pas ;

Leur essaim gronde :

Ainsi, profonde,

Murmure une onde

Qu'on ne voit pas.

Ce bruit vague

Qui s'endort,

C'est la vague

Sur le bord,

C'est la plainte,

Presque éteinte,

D'une sainte

Pour un mort.

On doute

La nuit ...

J'écoute :

Tout fuit,

Tout passe

L'espace

Efface

Le bruit.

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Les "classiques" de la
carte du comptoir
des vers :

-
Victor Hugo : les Djinns, ce siècle avait deux ans, l'an neuf de l'Hegire, demain dès l'aube, à une jeune fille, Hermina

- Charles Baudelaire : l'albatros, les bijoux, "j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans", toute entière, le soleil, une martyre, à une dame créole, confession, quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle, je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre (prélude à Sarah), correspondances, j'aime le souvenir de ces époques nues, une mendiante rousse, à celle qui est trop gaie,les ténèbres, le chat

-
Jean de la Fontaine : le savetier et le financier, le loup et l'agneau, le cheval s'étant voulu venger du cerf

- Arthur Rimbaud : le bateau ivre, le dormeur du val, voyelles, sensations, chanson de la plus haute tour, Vénus Anadyomène, Michel et Christine, petites amoureuses, à la musique, ma Bohème, aube, soleil et chair, chant de guerre parisien, première soirée, Marine, les assis, les douaniers,l'homme juste, les mains de Jeanne-Marie, les étrennes des orphelins, au cabaret vert (cinq heures du soir), jeune ménage,tête de faune, mouvement, age d'or, ô saisons ô chateaux, Bruxelles, l'orgie parisienne, les pauvres à l'église

- Guillaume Apollinaire : le Pont Mirabeau, l'adieu, nuit rhénane, la Victoire, ô naturel désir, acousmate, chant de l'horizon en Champagne, nocturne, dans l'abri-caverne, Annie, Marizibill, à l'Italie, le vigneron champenois, l'émigrant de Landor Road, le chef de section, à la Santé

- Louis Aragon : l'étrangère, que serais-je sans toi ?, est-ce ainsi que les hommes vivent ?, j'arrive où je suis étranger, Elsa au miroir, Elsa, Santa Espina, un jour un jour, nous dormirons ensemble, l'affiche rouge, la belle italienne, Charlot mystique, les mains d'Elsa, chambre garnie, chambres d'un moment, la rose et le réséda, les yeux d'Elsa

- Edmond Rostand : tirade des nez de Cyrano de Bergerac, sept moyens de monter dans la Lune (Cyrano de Bergerac), petit chat, rois mages, l'hymne au soleil, nénuphars

- Sabine Sicaud : douleur je vous déteste, jour de fièvre, la solitude, vous parler ?, premières feuilles, la vieille femme de la Lune, chemins de l'ouest, la grotte des lépreux, la paix

-
Joachim du Bellay : heureux qui comme Ulysse, cent fois plus qu'à louer on se plaît à médire, au fleuve de Loire, à Madame Marguerite d'écrire en sa langue

- José Maria de Heredia : les conquérants ("comme un vol de gerfauts hors du charnier natal"), le voeu, l'esclave, le tepidarium, la belle viole, le vitrail, soir de bataille, fleurs de feu, Tranquillus, le bain

- Et, aussi, l'inénarrable poème acadien de H.W. Longfellow Evangéline