Ce siècle avait deux ans ! [les feuilles d'automne] (Victor Hugo)
"Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, déjà Napoléon perçait sous Bonaparte" ...
"Besançon, vieille ville espagnole" ...
"Mon père, vieux soldat, ma mère, vendéenne !" ...
En ce premier jour de l'été, la carte du comptoir des vers publie le chef d'oeuvre généalogique de Victor Hugo, poète napoléonien qui finit héraut de la République.
La carte du comptoir des poésies, sans aucun commentaire, analyse ou explication de texte, propose aussi de nombreux "classiques" présentés en bas de ce poème.
Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
Et du premier consul, déjà, par maint endroit,
Le front de l’empereur brisait le masque étroit.
Alors dans Besançon, vieille ville espagnole,
Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,
Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ;
Si débile qu’il fut, ainsi qu’une chimère,
Abandonné de tous, excepté de sa mère,
Et que son cou ployé comme un frêle roseau
Fit faire en même temps sa bière et son berceau.
Cet enfant que la vie effaçait de son livre,
Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre,
C’est moi.
C’est moi. Je vous dirai peut-être quelque jour
Quel lait pur, que de soins, que de vœux, que d’amour,
Prodigués pour ma vie en naissant condamnée,
M’ont fait deux fois l’enfant de ma mère obstinée,
Ange qui sur trois fils attachés à ses pas
Épandait son amour et ne mesurait pas !
Ô l’amour d’une mère ! Amour que nul n’oublie !
Pain merveilleux qu’un Dieu partage et multiplie !
Table toujours servie au paternel foyer !
Chacun en a sa part, et tous l’ont tout entier !
Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse
Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse,
Comment ce haut destin de gloire et de terreur
Qui remuait le monde aux pas de l’empereur,
Dans son souffle orageux m’emportant sans défense,
À tous les vents de l’air fit flotter mon enfance.
Car, lorsque l’aquilon bat ses flots palpitants,
L’océan convulsif tourmente en même temps
Le navire à trois ponts qui tonne avec l’orage,
Et la feuille échappée aux arbres du rivage !
Maintenant jeune encore et souvent éprouvé,
J’ai plus d’un souvenir profondément gravé,
Et l’on peut distinguer bien des choses passées
Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées.
Certes, plus d’un vieillard sans flamme et sans cheveux,
Tombé de lassitude au bout de tous ses vœux,
Pâlirait s’il voyait, comme un gouffre dans l’onde,
Mon âme où ma pensée habite comme un monde,
Tout ce que j’ai souffert, tout ce que j’ai tenté,
Tout ce qui m’a menti comme un fruit avorté,
Mon plus beau temps passé sans espoir qu’il renaisse,
Les amours, les travaux, les deuils de ma jeunesse,
Et quoiqu’encore à l’âge où l’avenir sourit,
Le livre de mon cœur à toute page écrit !
Si parfois de mon sein s’envolent mes pensées,
Mes chansons par le monde en lambeaux dispersées ;
S’il me plaît de cacher l’amour et la douleur
Dans le coin d’un roman ironique et railleur,
Si j’ébranle la scène avec ma fantaisie ;
Si j’entre-choque aux yeux d’une foule choisie
D’autres hommes comme eux, vivant tous à la fois
De mon souffle et parlant au peuple avec ma voix ;
Si ma tête, fournaise où mon esprit s’allume,
Jette le vers d’airain qui bouillonne et qui fume
Dans le rythme profond, moule mystérieux
D’où sort la strophe ouvrant ses ailes dans les cieux ;
C’est que l’amour, la tombe, et la gloire, et la vie,
L’onde qui fuit, par l’onde incessamment suivie,
Tout souffle, tout rayon, ou propice ou fatal,
Fait reluire et vibrer mon âme de cristal,
Mon âme aux mille voix, que le Dieu que j’adore
Mit au centre de tout comme un écho sonore !
D’ailleurs j’ai purement passé les jours mauvais,
Et je sais d’où je viens, si j’ignore où je vais.
L’orage des partis avec son vent de flamme
Sans en altérer l’onde a remué mon âme ;
Rien d’immonde en mon cœur, pas de limon impur
Qui n’attendît qu’un vent pour en troubler l’azur !
Après avoir chanté, j’écoute et je contemple,
À l’empereur tombé dressant dans l’ombre un temple,
Aimant la liberté pour ses fruits, pour ses fleurs,
Le trône pour son droit, le roi pour ses malheurs ;
Fidèle enfin au sang qu’ont versé dans ma veine
Mon père, vieux soldat, ma mère, vendéenne !
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Les "classiques" de la carte du comptoir des vers :
- Victor Hugo : les Djinns, ce siècle avait deux ans, l'an neuf de l'Hegire, demain dès l'aube, à une jeune fille
- Arthur Rimbaud : le bateau ivre, le dormeur du val, voyelles, sensations, chanson de la plus haute tour, Vénus Anadyomène, Bruxelles, Michel et Christine, petites amoureuses, à la musique, ma Bohème, aube, soleil et chair, chant de guerre parisien, première soirée, Marine, les assis, les douaniers,l'homme juste, les mains de Jeanne-Marie, les étrennes des orphelins, au cabaret vert (cinq heures du soir), jeune ménage,tête de faune, mouvement, age d'or, ô saisons ô chateaux, l'orgie parisienne, les pauvres à l'église
- Charles Baudelaire : l'albatros, les bijoux, "j'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans", le soleil, une martyre, à une dame créole, toute entière, confession, quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle, je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre (prélude à Sarah), correspondances, j'aime le souvenir de ces époques nues, une mendiante rousse, à celle qui est trop gaie,les ténèbres, le chat
- Jean de la Fontaine : le savetier et le financier, le loup et l'agneau, le cheval s'étant voulu venger du cerf
- Guillaume Apollinaire : le Pont Mirabeau, l'adieu, nuit rhénane, la Victoire, acousmate, chant de l'horizon en Champagne, nocturne, ô naturel désir, dans l'abri-caverne, Annie, Marizibill, à l'Italie, le vigneron champenois, l'émigrant de Landor Road, le chef de section, à la Santé
- Louis Aragon : l'étrangère, que serais-je sans toi ?, est-ce ainsi que les hommes vivent ?, j'arrive où je suis étranger, Elsa au miroir, Elsa, Santa Espina,les mains d'Elsa, un jour un jour, nous dormirons ensemble, l'affiche rouge, la belle italienne, Charlot mystique, chambre garnie, chambres d'un moment, la rose et le réséda, les yeux d'Elsa
- Joachim du Bellay : heureux qui comme Ulysse, au fleuve de Loire, cent fois plus qu'à louer on se plaît à médire, à Madame Marguerite d'écrire en sa langue
- José Maria de Heredia : les conquérants ("comme un vol de gerfauts hors du charnier natal"), l'esclave, le voeu, le tepidarium, la belle viole, le vitrail, soir de bataille, fleurs de feu, Tranquillus, le bain
- Edmond Rostand : tirade des nez de Cyrano de Bergerac, sept moyens de monter dans la Lune (Cyrano de Bergerac), petit chat, rois mages, l'hymne au soleil, nénuphars
- Sabine Sicaud : douleur je vous déteste, jour de fièvre, la solitude, vous parler ?, premières feuilles, la vieille femme de la Lune, chemins de l'ouest, la grotte des lépreux, la paix
- Et, aussi, l'indépassable poème acadien de H.W. Longfellow Evangéline